In Your Arms



Disclaimer : Les personnages de The Sentinel ne m'appartiennent pas (pff… quel dommage, mais bon, j'ai déjà une sacrée galerie, je ne vais pas me plaindre non plus) J’ai juste écrit cette fic pour m’amuser (et surtout parce que j'en avais deux, là, qui n'arrêtaient pas de m'enquiquiner), je n’attends pas d’argent en échange, juste vos commentaires, doléances, menaces (je commence à avoir l'habitude ;-))



Style : Cette fic est une séquelle de Crucify My Love. C'est une histoire slash, racontée du point de vue de Blair, dans un premier temps, et éclairant ainsi certains aspects de ma première fic.



Résumé : Au moment de commencer cette fic, je ne sais pas trop dans quoi je m'embarque. Après les évènements de Crucify My Love, il s'agit pour Jim et Blair d'apprendre à vivre leur nouvelle relation. Et cela ne se fera pas sans de nombreuses épreuves (comment ça, j'aime torturé mes personnages ? En fait… oui, surtout ces deux-là ;-)).



Auteur : Yphirendi (yphirendi@infonie.fr, toujours autant de i)



Note de l'auteur : Je tiens à remercier mes lectrices pour leurs commentaires à propos de Crucify My Love, cela m'a encouragé à faire cette suite. J'ai trop pris l'habitude de vos mails survoltés du dimanche soir ou du lundi ;-)). Pour la petite histoire, le titre de cette fic vient d'une méprise à propos d'une chanson de Bon Jovi, dont j'ai découvert juste les paroles dans une fic. Dans mon esprit, le titre était In Your Arms, alors qu'en fait, c'est In These Arms.



Chapitre 1





Extrait du journal de Blair Sandburg.



12 novembre.



Je n'arrive pas à dormir. Trop de choses se bousculent dans ma tête. Et comme toujours, il faut que je les confie à Monsieur R. C'est une très vieille habitude que j'ai gardée du collège. Comme je n'avais pas beaucoup d'amis, de vrais amis, à qui je pouvais parler autrement qu'en essayant de les impressionner, j'ai commencé à confier mes pensées à Monsieur R. Je ne me souviens même plus pourquoi j'ai voulu lui donner un nom. A l'époque, je trouvais ça très drôle. Je suis certain que beaucoup de gamins de mon âge ont fait à peu près la même chose. Monsieur R. n'est pas un nounours, c'est mon ordinateur… ou plus exactement une partie de sa mémoire que je dédie toujours à mon journal.



J'avais un peu négligé Monsieur R, ces derniers temps. Pas moyen de l'emmener à l'Académie. Mais depuis mon retour, j'ai éprouvé un besoin grandissant de me confier de nouveau à lui. Sans doute parce que sinon, je deviendrai dingue à tourner en rond dans ma tête. J'ai la tête trop pleine. On me l'a déjà beaucoup dit. Ces derniers temps, elle était sur le point d'exploser.



Parce que tout a changé.



Jim… mon partenaire… Je suis amoureux de lui.



C'est complètement dingue. Je veux dire… Je n'aurais jamais cru être le genre de type qui tomberait amoureux d'un homme. Bon… je ne vais pas nier ne pas avoir eu quelques… expériences. J'ai toujours été curieux, mais ça n'a jamais été plus loin que le flirt. Je trouvais le beau sexe plus… captivant. Je suis tombé plusieurs fois amoureux, sincèrement, profondément. Il y a eu Lizzy, à Baltimore, Sarasvati à Mumbay… Elles ne sont pas si nombreuses que ça, détrompez-vous. Les autres, c'étaient plutôt… des aventures. Sauf Maya. Elle, je l'ai vraiment aimée.



Je dois cependant reconnaître que ma rencontre avec Alex Barnes a refroidi mon… enthousiasme vis-à-vis des femmes. Cette belle plante venimeuse a failli me tuer. Et c'est ma Sentinelle qui m'a ramené à la vie.



Jim… Mon Saint Graal.



Je suis tombé en admiration devant lui dès le début. Oui, je sais, Monsieur R, c'est un grincheux, insensible de prime abord, possessif au possible. Mais il est aussi courageux, inflexible, généreux… Je veux dire… Il m'a tout de même offert un toit. Plus que ça… Une famille. Avec Naomi, je n'ai jamais eu de chez moi. Jim m'en a donné un. Et il m'a donné une raison de vivre.



C'est bien beau d'être un génie, d'être arrivé au collège à 16 ans, d'avoir été la coqueluche des professeurs de Rainier, mais ça n'efface pas l'impression d'être un incompris. J'ai essayé de parler à plusieurs reprises des Sentinelles à mes directeurs de recherche, vous en êtes témoin, Monsieur R. Je vous ai confié toute ma frustration devant leurs réactions. Il fallait que je leur apporte des preuves, un sujet, de l'authentique.



Au début, j'ai pensé que c'était ma principale motivation dans l'arrangement que j'ai passé avec James Ellison. J'avais une opportunité que je n'allais pas laisser passer. Je sais être têtu. J'ai commencé à coller aux basques de Jim. Il a commencé par m'envoyer balader, ça s'est mal passé, les petits surnoms qu'il me donnait me hérissaient le poil.



Et puis les choses ont commencé à changer, à grands coups. De vraies gifles. J'ai été pris en otage, Jim est venu me sauver. Il est devenu mon Protecteur. On est devenu ami. Ce n'était déjà plus une simple relation de travail. Les révélations qui ont ponctué ensuite nos aventures et dont je vous ai longuement parlé, Monsieur R, ont forgé un lien entre nous. Je suis devenu le Guide, le Shaman. Et tout le reste n'a plus eu d'importance. Même ma thèse. Je vous ai pourtant dit le nombre de nuits blanches que j'ai passées à travailler dessus, imaginant des tests à faire passer à ma Sentinelle, les notes que je confrontais… J'ai tout envoyé balader.



Parce que je ne voulais pas le perdre.



A l'origine, notre relation n'aurait pas dû durer plus de quelques mois. Et aujourd'hui, j'ai quitté l'université et je suis devenu flic. Moi ! Blair Sandburg, le hippie ! J'ai une arme, un badge et tout le reste. Et je suis le coéquipier de Jim.



Je suis là où j'ai toujours voulu être.



A ses côtés, pour toute la vie.



Je m'en rends compte, maintenant. Comment aurais-je pu lâcher mon Saint Graal après l'avoir découvert ? J'ai bu dans son calice et tout le reste me semble insipide. Il n'y a que Jim qui compte.



J'ai fini par découvrir que j'avais besoin de ma dose de Jim Ellison quotidienne. Y compris les accès de mauvaise humeur. Même cela signifiait que je faisais toujours partie de sa vie. Ses sarcasmes, ses grognements, ses habitudes de vieux célibataire, j'accueillais cela comme… un trésor. J'étais là, je participais, je… je pouvais le toucher.



Quand me suis-je rendu compte que j'étais tombé amoureux de lui ?



J'ignore s'il y a vraiment eu un moment précis. Mais la "grande révélation" a eu lieu quand j'ai vu son sourire, au moment où il m'a donné mon badge. Je l'ai pris en plein cœur. J'ai eu l'impression que mes dernières défenses s'écroulaient et qu'un puissant vent chaud me balayait. J'ai su que ce que j'éprouvais depuis des mois, que ce qui avait motivé mon mensonge devant les journalistes avides de se faire les dents sur James Ellison, ne pouvait être… que de l'amour.



Ça a été terrifiant. J'ai d'abord imaginé que tout le monde me regardait différemment, que c'était écrit sur mon visage comme un immense panneau publicitaire : Blair "Roméo" Sandburg est amoureux de sa Sentinelle, Jim Ellison. Et ça a été aussi très perturbant. Je veux dire… J'aime toujours regarder une jolie femme, mais ce plaisir n'est pas comparable avec celui que je prends à admirer Jim. Je vous l'ai déjà décrit en long en large et en travers, Monsieur R. Ce n'est pas le genre d'homme qui passe inaperçu. Il ferait blêmir d'envie les divinités grecques. Et moi… je suis complètement dingue d'écrire un truc pareil. Mais ça m'étouffe.



J'ai pensé que je garderais le silence toute ma vie. Je me voyais mal glisser au petit déjeuner : "Jim, devine la meilleure, je suis tombé amoureux de toi." Remarquez, j'aurais pu en profiter avec le bouche à bouche… maintenant que je sais… Non, non, ne nous égarons pas. Où en étais-je ? Ah oui, ma… déclaration. Le secret est devenu de plus en plus lourd à porter. J'avais l'impression de salir Jim, rien que par mon silence. Les regards que je posais sur lui étaient différents, et il n'en savait rien. Ses étreintes amicales me rendaient fou, parce qu'elles étaient trop innocentes.



Mes résolutions ont fondu comme neige au soleil lors de notre première enquête en tant que coéquipiers officiels. Je n'ai rien d'un dur, je veux bien le reconnaître, mais je sais me montrer moi aussi inflexible et tenace. Cependant j'ai craqué, juste en voyant la photo de Shinji Komura et Setsuna Takahashi, les deux victimes d'un meurtre atroce. Se faire égorger… quelle mort horrible. Mais eux, ils n'avaient pas honte de s'afficher devant un objectif, de montrer aux autres ce qu'ils éprouvaient. J'ai pris leur regard en plein cœur. Et dès lors, rien d'autre n'a compté que de dire la vérité à Jim… malgré les risques.



Néanmoins, je n'étais pas du tout préparé à la façon dont il a réagi.



J'ai vu du dégoût et de la peur dans ses yeux.



Jamais je ne me suis senti aussi blessé. Et toutes les horreurs qu'il m'a dites !



Mes rêves, mes espoirs se sont brisés en quelques instants.



J'avais tout perdu.



Jim ne saura jamais la nuit effroyable que j'ai passée à la suite de cette terrible discussion. J'ai tout envisagé. TOUT. Je ne pensais pas éprouver un jour un tel désespoir.



Je me demande d'ailleurs… après coup, si ce qui s'est passé au Concert Hall le lendemain n'a pas été une façon pour moi de… tenter le diable.



Une balle dans la peau, ça fait sacrément mal. Aujourd'hui encore, la douleur semble se réveiller par moment, comme pour me rappeler que j'ai été à deux doigts de faire la pire bêtise de ma vie.



Et comme toujours, qui est venu à la rescousse ?



Mon Protecteur.



J'adore l'appeler comme ça. Je le fais plus souvent qu'il ne l'imagine, le connaissant, il détesterait ça. Mais je ne peux rien contre le sentiment de sécurité que j'éprouve quand je suis auprès de lui. Et de toutes façons, il m'a sauvé la vie tellement de fois. C'est réciproque, me direz-vous, Monsieur R.



Impossible de décrire ma joie quand je l'ai vu qui venait me tirer encore une fois du pétrin (à croire d'ailleurs que quelque génie malfaisant prend un plaisir particulier à me guider droit vers les ennuis). Mais j'ai bien senti aussi que les choses avaient changé, lors de notre discussion, peu après. Quand il m'a touché…, je me suis de nouveau senti sans défense et j'ai détesté cette impression de vulnérabilité. Il n'arrêtait pas de me dire qu'il voulait me parler. J'ai préféré refermer toutes les portes. Je ne me sentais pas à la hauteur. Non seulement, j'avais pris une balle, mais j'avais trouvé le moyen d'égarer ce fichu revolver. Et je n'avais pas pu l'aider à rattraper notre suspect. Un beau fiasco, en définitive. Certes, il m'avait dit qu'il voulait toujours de moi comme coéquipier, mais moi, je voulais plus !



Au lieu de ça, j'ai été mis au rancart. Jim a continué son enquête tout seul. Il a filé ma meilleure amie, Miyu Izumi. Il a résolu l'enquête tout seul. Et le pire de tout : il a failli mourir. Je n'étais pas là pour couvrir ses arrières. A ce moment-là, Simon m'avait mis d'office le nez dans les paperasseries, et je n'avais dû qu'au fait de traîner du côté de la salle de transmission d'avoir été au courant de la situation. Je n'ai pas réfléchi, je me suis précipité sur les lieux. J'avais eu tout le temps du trajet pour ruminer des pensées rageuses et quand je suis arrivé, j'ai explosé. Je ne pensais vraiment pas faire une scène à Jim. Même les paroles qui sont finalement sorties de ma bouche m'ont pris au dépourvu.



Un partenaire ? Quel partenaire ? Je n'ai plus de partenaire !



Je me sentais trahi, abandonné. Après tout ce que j'avais fait pour lui, Jim me mettait sur la touche, alors que j'avais CHOISI de devenir flic pour que cela ne se produise plus jamais.



En quittant les lieux, je me suis rendu directement au loft. Il ne me restait plus qu'une chose à faire.



Puisque Jim ne voulait plus de moi, il ne me restait plus qu'à partir.



J'allais lui montrer ce que ça faisait de se faire larguer.



Je me demande laquelle de ses pensées m'a vraiment guidé. En tous cas, j'ai claqué la porte du loft sur le nez de mon partenaire qui venait juste de débarquer. Je le reconnais, je ne lui ai pas laissé le temps de dire quoi que ce soit. C'était plus facile. Je redoutais certainement d'entendre ce qu'il avait à me dire. Mieux valait que je parte de mon propre chef, plutôt qu'il ne me chasse… encore…



Et maintenant… Je suis dans cette chambre de motel minable. J'ai pris des vacances. Enfin… j'ai mis Simon devant le fait accompli. Je lui ai téléphoné quand j'étais encore au loft et quand j'y réfléchis, à sa façon de réagir lorsque je lui ai présenté mon ultimatum, je crois qu'il est au courant. Cela ne peut signifier qu'une chose : Jim lui aura parlé. Evidemment, il se confie à son capitaine, mais pas à moi. Enfin… je suis peut-être injuste avec lui. Simon et lui sont amis depuis très longtemps, et je n'ai pas laissé d'autre choix à mon coéquipier.



Je suis vraiment un imbécile.



Me voilà bien avancé, maintenant. Encore hier, j'avais un foyer, un ami et maintenant, je fais la conversation à un ordinateur.



Jim me manque.



Je me demande ce qu'il fait à cette heure-ci. Est-ce qu'il dort ?



Je ferais mieux d'arrêter là. Mes pensées s'embrouillent. Peut-être que je vais pouvoir m'accorder quelques heures de sommeil. Et ensuite ?



13 novembre.



On a parlé toute la nuit. En fait, c'est surtout ma Sentinelle qui a parlé. C'est assez remarquable pour être signalé. Je crois que j'ai fini par m'endormir. Quand je me suis réveillé, j'étais allongé sur le canapé et on avait mis une couverture sur moi… Sans doute Jim. Comme je n'avais plus du tout sommeil, je me suis levé pour aller dans ma chambre et écrire les derniers évènements de la journée.



Par quoi commencer…?



J'ai été réveillé par quelqu'un qui tambourinait à ma porte. Il était presque 9h. Je me suis levé, complètement au radar, pour aller ouvrir, me demandant qui ça pouvait bien être. Mis à part Simon, personne ne savait où je logeais et Banks m'aurait appelé plutôt que de se déplacer si quelque chose de grave était arrivé, mais je dois dire que pendant quelques secondes, j'ai imaginé le pire, après les cabrioles que Jim avait faites la veille (il faudrait qu'il perde cette habitude de sauter sur les capots des voitures, les patins des hélicoptères et j'en passe). J'ai ouvert la porte sur un coursier. Il m'a lancé un regard assassin qui semblait dire : "pas trop tôt." Et puis il m'a demandé si j'étais bien Blair Sandburg. J'ai hoché la tête, il m'a tendu un pli et m'a demandé une signature. J'ai refermé la porte sur lui, intrigué par ce qu'il m'avait apporté. Quand j'ai décacheté l'enveloppe, je n'en ai pas cru mes yeux. C'était un billet pour le concert d'ouverture du festival nippon. Un mot y était joint. Pour vous permettre de retrouver votre âme sœur. La signature était en japonais. Je connais un peu les kanji et j'ai reconnu le mot tenshi. Ange ? J'ai retourné l'enveloppe dans tous les sens. Je n'y comprenais rien. Comment ce Tenshi savait-il où j'habitais ? Et pourquoi ce billet ? Mon âme sœur ? Il ne pouvait s'agir que de Jim, du moins en ce qui me concernait, car mon coéquipier devait être loin de penser la même chose.



Je me suis assis sur le lit, contemplant le billet et le mot. Que faire ? Je décidais de me laisser la journée pour y réfléchir. Après tout, le concert ne commencerait que vers 20h. Et ça pouvait être une espèce de blague… mais je n'y croyais pas trop. C'était tellement bizarre. Si les choses n'avaient pas si dramatiquement changé avec mon partenaire, je l'aurais certainement invité à venir assister à ce concert. Je n'ai pu réprimer un sourire à cette pensée. J'imaginais la tête de Jim. Un souvenir a aussitôt suivi cette idée : son expression quand il avait découvert les Visual Rockers. Je n'ai jamais autant ri avec quelqu'un qu'avec Jim. Il peut être tellement drôle, volontairement ou non. J'ai ressenti sur le moment un tel sentiment de perte. Notre amitié, notre complicité, tous ces moments qui avaient forgé notre relation… Par quelle étrange alchimie avais-je transformé tout cela en amour ?



Plutôt que de broyer du noir dans cette chambre de motel, j'ai préféré sortir. Je ne me souviens plus exactement comment, ni pourquoi je me suis retrouvé à Rainier. Cela m'a fait drôle de revoir le campus, à la fois si familier et si étrange. Je n'ai pas osé descendre de la voiture, et je suis resté sur le parking, suivant du regard des étudiants, seuls ou par groupes. Je faisais encore partie de leur monde, voici peu, avant de lui tourner définitivement le dos. Peut-être avais-je des regrets, finalement. J'avais été agacé par l'attitude de Jim, quand il était intervenu à ce propos pendant que je discutais avec Miyu. Des regrets, oui, j'en ai. Si les choses s'étaient passées différemment, si ma mère n'avait pas envoyé mon manuscrit à ce rapace d'éditeur, si j'avais eu le temps d'y apporter toutes les modifications que je voulais, en faisant notamment disparaître le nom de Jim, si ce dernier avait pu le lire avant que je ne le montre à mes pairs, si…, si…



J'ai posé mon front sur le volant. Je me sentais tellement mal. Je crois que si on n'avait pas frappé à ma vitre, j'aurais éclaté en sanglots. J'ai levé les yeux vers un visage intrigué et je baissais ma vitre.



Un problème ? me demanda un vigile. Oh… je vous connais…



J'ai hoché la tête.



Vous étiez étudiant ici, non ?



Oui, ai-je répondu d'une voix rauque. Sandburg, Blair, j'étudiais l'anthropologie.



Ah, sourit-il. Vous revenez sur les lieux du crime.



Je lui ai rendu son sourire. C'était presque drôle d'entendre cette expression en de telles circonstances. Le lieu du crime… Mon regard s'est tourné instinctivement vers l'allée qui longeait le bâtiment où j'avais mon bureau. En un éclair, je revis la scène, Jim qui zonait, le camion qui se précipitait vers lui. Je n'ai pas réfléchi et je me suis rué vers Ellison pour lui sauver la vie. A l'époque, je n'avais rien d'un héros. Je veux dire… depuis, j'ai appris à faire des trucs dingues, grâce à Jim, qui ont permis de sauver des vies. Il a été le premier, en quelque sorte.



Vous êtes sûr que vous allez bien ? m'a redemandé le vigile.



Oui, oui, ai-je répondu distraitement. Et puis, j'ai démarré la voiture, j'avais soudain envie de me tirer à toute vitesse. J'ai planté là le vigile et j'ai roulé droit devant, jusqu'à la mer. J'ai retrouvé cette petite plage où Jim et moi avons assisté à un enterrement à l'hawaïenne, celui d'un ancien pompier que nous avions soupçonné d'être un pyromane. Je suis sorti de la Volvo. Le vent glacé m'a happé et s'est engouffré sous mes vêtements avant que j'ai pu refermer ma veste. Je me suis assis contre la coque d'un petit bateau de pêche. J'étais complètement gelé, mais je n'avais aucune envie de bouger. J'ai laissé d'autres souvenirs me rattraper. Je suis resté comme ça dans mon trou au moins une demi-heure. Et puis, je me suis dit que ça serait vraiment idiot de mourir comme ça, si bêtement. Il n'y a que dans les romans à l'eau de rose que Naomi lisait pendant un temps que l'on meurt d'amour. En plus, j'avais toujours le billet dans ma poche et cette seconde chance qu'un ange avait bien voulu m'offrir.



Je suis allé déjeuner, préférant éviter les endroits où Jim et moi allions d'habitude de nous rendre. Le problème, c'est qu'en quatre ans, nous avions eu l'occasion de visiter pas mal de restaurant. J'ai finalement pris un sandwich que j'ai mangé dans la voiture, sur la marina.



Je me sentais pitoyable. Si je n'avais pas fait l'imbécile, à cette heure, je serais en train de déjeuner avec Jim. Même un Wonderburger avec lui m'aurait paru un festin.



J'ai continué à errer comme ça en ville pendant toute la journée, poussé par mes souvenirs ou le besoin de les fuir. Ce ballet épuisant a eu raison de mes nerfs. J'ai terminé mon errance à deux pâtés de maison du Concert Hall. J'avais décidé de ne plus lutter. S'il y avait un moyen pour que je puisse revenir vers Jim, même si cela signifiait étouffer mes sentiments, alors, je ne devais pas le laisser passer.



J'avais bien trois heures devant moi avant que le concert ne commence. J'ai attendu dans la voiture pendant presque deux heures, mon humeur continuait à jouer au yo-yo et j'ai bien dû démarrer la voiture une bonne douzaine de fois, avant de sortir de la Volvo comme un diable de sa boîte.



Quand je suis rentré dans le Concert Hall, la foule se rassemblait déjà à l'entrée. Je me suis servi de mon badge pour ne pas avoir à piétiner avec les autres. Tant pis pour les bonnes résolutions prises lors de mon serment, mais je ne me sentais vraiment pas d'humeur à être bousculé par cette multitude joyeuse et impatiente. Trop heureux à mon goût. Si j'avais pu avancer dix pieds sous terre, au lieu d'être dans cette lumière… Jim aurait détesté être là. J'étais complètement fou de croire…



Pourtant, il est venu, Monsieur R.



Mais je suis en train de brûler les étapes.



Je n'avais aucune envie de m'asseoir avec les autres spectateurs dans les gradins. En plus, après avoir écouté les membres des copy bands, j'ai compris que mon billet m'obligerait à aller avec eux. C'était bien sûr pratique pour eux pouvoir regagner ensuite leur loge et entrer en scène, si j'avais été là en tant que simple fan de Visual Rock, je me serais jeté sur l'occasion, si j'avais été avec Jim, ça aurait été drôle de le voir de nouveau confronté à ces créatures bariolées et androgynes, mais j'étais justement là parce que rien de tout cela n'était possible. J'ai préféré me glisser discrètement dans le couloir qui conduisait à la scène. J'ai pu me cacher dans l'ombre et voir passer la plupart des musiciens. Yoshiki arriverait par une autre voie, traitement de faveur d'une star. Quand j'ai été certain que personne n'emprunterait le passage jusqu'au début du concert, j'ai osé m'approcher de la scène.



En fait, c'était la meilleure place de toutes. Je n'avais qu'à faire quelques pas pour être près du piano de Yoshiki – un piano transparent, unique en son genre. J'aurais vraiment aimé pouvoir parler à son propriétaire. Ce mec est un vrai génie. Il joue de plusieurs instruments, c'est un manager hors pair, il a découvert quelques talents, dont Dir en grey. Vous vous rendez compte, Monsieur R. !



Mais à la vérité, à ce moment-là, la seule chose qui comptait pour moi, c'était une question : Est-ce que Jim va venir ?



J'entendais les musiciens qui terminaient de s'installer. Mon regard balayait l'immense salle. Sans les talents d'une Sentinelle, je ne vois pas comment j'aurais pu repérer Jim dans cette foule. Mais c'était plus fort que moi.



La scène n'était éclairée que par un seul projecteur, qui la baignait dans une lumière grisâtre et empêchait de voir l'orchestre. Je devinais une ombre qui, depuis l'autre côté, gagnait le piano situé à quelques mètres de moi. Mon cœur a raté un battement. C'était sûrement Yoshiki. J'ai senti l'excitation me gagner. Et la foule semblait être au moins aussi tendue que moi. Les derniers toussotements se sont tus, et ensuite…



Des notes de piano se sont faits entendre, puis des violons. C'était vraiment très doux, comme une caresse. Je me suis mis à frissonner de la tête aux pieds et quand la silhouette est apparue sur la scène, j'ai cru que j'allais m'arrêter de respirer. Un ange ! Vêtu tout de blanc, avec de longs cheveux blonds. Mais son visage exprimait une tristesse presque palpable. J'étais complètement fasciné et c'est sans doute pour ça que je n'ai pas entendu Jim approcher. Je veux dire… D'habitude, Monsieur R., j'arrive à savoir s'il est dans les parages dès que j'entre dans une pièce. Pourtant, je crois que j'ai senti quelque chose, quand l'ange s'est mis à chanter, comme un picotement qui a couru le long de mon échine. Mais j'étais pris entre cette sensation et l'ange qui se mit à chanter.



Difficile de décrire toute la complexité et la profondeur désespérée de sa voix. Je trouvais déjà que le chanteur de X Japan avait une voix exceptionnelle, mais cette créature la surpassait en tous points, tant son chant vibrait d'émotion.



La sensation de picotements s'est transformée en brûlure et j'ai senti ma Sentinelle. J'ai fermé les yeux. C'étaient trop, pour moi, toutes ces sensations qui m'arrivaient en même temps. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, de joie, d'anticipation, de crainte.



J'ignore à quoi je m'attendais exactement, mais ce qui a suivi m'a totalement pris par surprise.



La scène s'est éclairée d'un seul coup au moment où j'ouvrais les yeux, révélant l'orchestre, Yoshiki derrière son piano.



Et les bras de Jim se sont refermés sur moi.



Je n'ai jamais rien senti d'aussi… d'aussi… Je n'ai aucun mot pour décrire cela. La chaleur de Jim, sa présence, son parfum aussi, m'ont submergé. J'ai ouvert la bouche pour respirer ou pour crier, je ne m'en souviens plus très bien.



Il a murmuré mon nom, très doucement, à mon oreille. Son souffle a effleuré ma peau et un frémissement irrépressible m'a parcouru de la tête aux pieds. Je sentais mon sang qui cognait contre mes tempes, j'avais les mains moites. Je n'arrivais pas à croire que mon partenaire me tenait dans ses bras.



J'ai fini par oublier ce qui se passait sur la scène. J'avais tout juste conscience des paroles et quand les lèvres de Jim se sont posées sur ma peau, j'ai cru que j'allais mourir.



J'ai rêvé de ses lèvres pendant des nuits entières, qu'elles me caressaient, me possédaient. Mais quand elles m'ont touché, j'ai cru qu'on me brûlait au fer rouge. J'ai sursauté, avant de me laisser aller un peu plus contre ma Sentinelle. Sans cela, je crois que je me serais écroulé.



Ensuite, j'ai cessé de réfléchir. Je me souviens juste d'avoir tourné le dos à la scène. Je me demande encore où j'ai pu prendre la force de regarder mon partenaire droit dans les yeux. J'y ai lu de la peur, des doutes, de la tristesse, et quelque chose d'autre, de tout à fait nouveau.



Le temps que je réalise qu'il me caressait la joue, il s'est penché vers moi et…



Il m'a embrassé.



Jim m'a embrassé.



Je sais bien sûr ce qu'est un baiser, mais d'habitude, c'est… comment dire… moi qui dirige la danse.



Au début, j'ai gardé mes lèvres closes, tellement j'étais stupéfait par la tournure des évènements et par cette sensation inédite. Pour finir, j'ai laissé derrière moi tous les vieux tabous que j'avais de toutes façons déjà brisés, tous les clichés sur les homosexuels que j'avais pu entendre à l'Académie, l'impression de malaise qui m'a d'abord submergé. C'était trop ce que je voulais pour que je le laisse passer et je dois admettre que… que Jim embrasse vraiment très bien (heureusement qu'on ne me voit pas rougir, tandis que j'écris ça, je dois être pivoine.)



C'est assez facile, finalement, de confier cela à une machine. Je ne me leurre pas, Monsieur R. Je crois que si j'avais dû me confesser comme je suis en train de le faire avec vous auprès d'un prêtre, il y aurait longtemps qu'il serait sorti du confessionnal en me vouant à Satan et à sa clique.



Je m'en moque et je le répète : Jim embrasse très bien. Je ne vais pas le nier, c'est la vérité.



Il m'a fallu un moment pour me rendre compte qu'il m'avait parlé. Le front pressé contre le mien (j'arrivais tout juste à respirer et à tenir debout), il m'a demandé pardon. J'aurais voulu dire quelque chose de grandiose à ce moment-là, vous savez, le genre de réplique immortalisée dans les plus célèbres histoires du 7ème art, mais je n'ai rien trouvé de mieux que : Rentrons chez nous. Pas très brillant pour quelqu'un d'aussi loquace que moi. Et parce que je craignais de voir l'expression de Jim, j'ai préféré me blottir contre lui.



Mais je suis de retour au loft, ce soir (ou plus exactement ce matin, il va bientôt être 4h). Et j'ai encore dans la tête toutes les paroles prononcées par ma Sentinelle depuis que nous en avons franchi le seuil. Ça commence d'ailleurs à se mélanger un peu. Il a commencé par me raconter l'enquête telle qu'il l'a vécue, comme s'il voulait combler le fossé qui s'était creusé entre temps entre nous. Il m'a parlé de ses rencontres avec Tenshi, de l'histoire que lui a racontée Miyu. Je lui ai montré la carte, il avait reçu la même. Je soupçonne ce Tenshi d'avoir voulu jouer les entremetteurs et je lui en serai éternellement reconnaissant. Ce fut assez étonnant d'entendre Jim parler de fantômes, de divinités, lui si pragmatique. Il a bien entendu une certaine expérience du monde des esprits, mais il est toujours resté très réservé par rapport à ce sujet beaucoup trop en contradiction avec ce qu'on lui avait appris toute sa vie, y compris à l'Armée.



Enfin, il a essayé de parler de ce qui… nous était arrivé.



A aucun moment, il n'a prononcé le mot amour.



Et pendant tout le temps qu'il a parlé, il ne m'a pas touché une seule fois.



Il m'a dit que je comptais énormément pour lui, qu'il ignorait à quel point jusqu'à hier, qu'il ne voulait surtout pas me perdre, qu'il avait besoin de temps, qu'il n'était pas certain que ce qu'il ressentait pour moi était aussi profond que mes sentiments pour lui, mais que c'était extrêmement important dans sa vie.



Je l'ai écouté sans rien dire.



Il a alors tenté de me faire comprendre pourquoi il avait été effrayé par ma déclaration. Je connaissais déjà les histoires et les mauvaises blagues qui courent sur les flics gays dans la police. J'en ai eu mon lot à l'Académie.



C'est là, à ma grande honte, que je me suis endormi.



Et maintenant, j'aurais presque envie de monter dans la chambre de Jim pour le réveiller et lui demander de reprendre là où mon esprit a cessé de le suivre. J'ai l'impression terrible d'avoir raté une occasion. Qu'aurais-je pu lui dire ? J'aurais pu lui expliquer tout ce que j'avais appris au cours de mes études sur les pratiques et attitudes d'autres civilisations par rapport à l'homosexualité. Est-ce que ça nous aurait avancé à grand-chose ? Jim n'a pas besoin de grands cours d'histoire. Je le serine déjà assez avec ça. Je ne suis pas certain de pouvoir l'aider dans le parcours qui l'attend. Je suis encore moins sûr de pouvoir (et surtout de vouloir) l'entraîner dans ce périple. Mon propre parcours, loin d'être inachevé, a déjà été difficile, et pourtant, j'ai l'esprit assez ouvert. Alors, pour ma Sentinelle, tellement coincée dans ses principes (il faut dire la vérité aussi, Monsieur R.), ça sera certainement un parcours du combattant.



J'ai tout de même envie de garder espoir. Impossible de faire autrement, avec le souvenir de ses lèvres sur les miennes, de son étreinte. Je deviendrais dingue si je ne m'accordais pas au moins ça.





Chapitre 2





Extrait du journal de Blair Sandburg.



14 novembre.



Je suis retourné au boulot comme si de rien n'était, aidé en cela par l'attitude de mes collègues. A mon avis, ils ont dû penser que Simon m'avait mis au vert, suite à ma blessure, et le capitaine n'a rien fait pour contredire cette impression. Aucune remarque sur mon caprice quand il m'a serré la main ce matin. J'ai écouté le rapport de Jim, assis à côté de ma Sentinelle, dans le bureau de Simon. L'Affaire Izumi, comme l'appelle le capitaine, est loin d'être terminée. En effet, le Japon voudrait juger Miyu chez eux. Voilà qui a eu le chic de faire grincer des dents mon coéquipier. C'est lui qui a fait tout le boulot, et maintenant, il devrait livrer le paquet aux Nippons ?



Je vous ai déjà répété des dizaines de fois, Monsieur R, combien Jim était consciencieux. Il aime aller jusqu'au bout de son travail, et si quelqu'un lui cherche des ennuis, même des membres d'un gouvernement étranger, il ne se laisse pas démonter. Le problème, c'est que les Japonais ont effectivement la priorité sur nous et qu'en plus, nos politiciens ont envie de se montrer très cordiaux avec eux. Résultat : Miyu sera transférée demain.



Jim et moi sommes allés lui annoncer la nouvelle. Ça m'a fait bizarre de la trouver dans une cellule. Mais je me suis rendu compte que notre amitié était complètement morte. Je n'éprouvais que de la pitié à son égard.



Elle a accueilli notre annonce avec un ricanement, en haussant les épaules, ce qui a eu le don d'énerver passablement ma Sentinelle. Jim a… une espèce de tic, quand il encaisse les mauvais coups : ses mâchoires se crispent. Avant qu'il ait eu le temps de dire à Miyu sa façon de penser, j'ai pris mon partenaire par le bras pour essayer de le faire sortir.



Grossière erreur.



Jim a sursauté comme si je l'avais brûlé. Et sa colère s'est retournée contre moi :



Je suis assez grand pour marcher tout seul, Sandburg.



Sandburg ? Très mauvais, ça. J'aurais dû m'en douter et laisser couler. En fait, c'est ce que j'ai fait, jusqu'au moment où nous nous sommes retrouvés seuls dans le couloir.



Je voulais juste t'empêcher de faire une…



Ma voix est morte dans ma gorge quand Jim m'a regardé.



Cette fille nous nargue depuis le début. C'est une réincarnation de Machiavel. Elle s'est servi de tout le monde, de son petit ami, de toi ! Et tu voudrais que je l'épargne ? De quel côté es-tu ?



J'ai été choqué par cette question.



Du tien, bien sûr. Ecoute, big guy, tu prends cette histoire vraiment trop à cœur.



C'est la meilleure ! Je fais mon job, grand chef, et au cas où tu l'aurais oublié, mon job consiste à mettre des gens comme ta petite copine derrière les barreaux.



J'ai vu rouge.



Miyu n'est pas ma petite copine. Ce n'est même plus mon amie du tout. Et puisqu'il n'y a pas moyen de discuter avec toi sans que tu prennes la mouche…



J'ai laissé ma phrase en suspens et je suis parti.



On a boudé dans notre coin tous les deux pendant des heures. De vrais mômes. Mais je n'avais aucune envie de céder la moindre parcelle de terrain. Pas question que Jim me traite comme un sale gosse. Je ne l'avais jamais accepté du temps où j'étais juste un observateur, je n'allais certainement pas le faire maintenant que j'étais son coéquipier.



J'ai eu l'impression que tout ce qui s'était passé la veille n'était qu'un rêve.



J'ignore si c'est à cause de nous, mais l'ambiance n'était pas terrible au bureau de toutes façons. Joël et Megan piétinaient sur une histoire de trafic de chiens de combat, Rafe et Brown se sont fait passer un savon par Simon parce qu'ils ont bousillé leur voiture de service en pourchassant un mac. Et il n'y a pas eu moyen d'avoir des donuts. Comme je songeais qu'il ne manquait plus au tableau que la machine à café tombe en panne, j'ai entendu Jim rugir quand il a failli se faire électrocuter par ladite machine. J'ai eu un mal fou à ne pas bondir pour voir ce qui se passait. Un vrai idiot. Désolé, mais il y a des réflexes que je peux difficilement contrôler et m'enquérir à chaque instant de la santé de mon partenaire en fait partie, Monsieur R.



Je suis allé déjeuner tout seul, histoire de ne pas changer par rapport à la veille. Je ne me souviens même plus de ce que j'ai avalé. Rien de transcendant, je présume.



Quand je suis rentré, il pleuvait des cordes. J'étais évidemment à pieds. J'ai trouvé refuge sous un abri de bus, à deux pas du commissariat, mais il y avait un mur d'eau entre mon but et moi. Au début, j'ai pensé attendre que ça se calme, et puis, ça a continué de plus belle, il y avait la pile de paperasse que je devais finir de classer. Alors tant pis, j'ai couru sous la pluie. Et je suis arrivé trempé au Major Crime. J'avais eu le temps de bien dégouliner dans l'ascenseur et quand je suis rentré dans le service, j'ai eu droit à quelques regards intrigués. Des gouttes glacées me coulaient dans le dos, c'était atroce. Je me suis assis en frissonnant sur ma chaise et là…



Jim a un don incroyable pour désarmer ma colère en deux secondes.



Il suffit qu'il se montre gentil.



Il s'est levé de son bureau, a quitté la salle pendant quelques instants, et quand il est revenu, il s'est dirigé droit vers moi pour me tendre une serviette.



Mieux vaudrait que tu ne dégoulines pas sur tes rapports, grand chef.



J'ai juste réussi à lui dire merci.



Et tu devrais aller te changer. J'ai laissé des affaires de rechange dans mon placard au vestiaire. Il faudrait d'ailleurs que tu penses à apporter tes propres affaires. Je dois avoir un sweat. Enlève ta chemise trempée avant d'attraper un rhume carabiné.



Trop tard, je me suis mis à éternuer à ce moment-là. Ma Sentinelle a grimacé. J'ai cru un moment qu'elle allait s'éloigner, pour ne pas se faire contaminer, mais tout au contraire, Jim s'est penché vers moi. Il a semblé inquiet.



J'espère que tu ne vas pas avoir de fièvre en plus. Allez, file te changer.



Il m'a mis littéralement debout et m'a poussé vers la porte. Comme Megan arrivait à ce moment-là, elle n'a pu retenir un éclat de rire.



Oh, Jimbo, vous avez fini de materner Sandy comme ça ! Vous êtes une vraie mère poule.



Jim a regardé Connor, puis moi. Il a haussé les épaules.



A votre place, Megan, a-t-il lancé pendant que je m'éloignais, j'en ferais autant avec mon partenaire. Il recommence à manger trop de donuts.



Et Joël est arrivé juste à ce moment-là avec un beignet dans la main. Rafe et Brown ont éclaté de rire, Connor ne savait plus où se mettre. Il faut dire que mon partenaire semble prendre un certain plaisir à mettre notre belle collègue en boîte. Il m'a confié un jour qu'il avait ainsi l'impression d'avoir une petite sœur à qui tirer les nattes.



Je remercie la divine providence que Jim ait un petit frère.



Comme je terminais de m'habiller, mon coéquipier est venu me rejoindre dans le vestiaire. Il m'a donné une de ses vestes (Prévoyance doit être son deuxième prénom), en m'expliquant qu'on devait mettre les voiles. Il y avait un fou furieux qui menaçait de se jeter dans le vide du haut du cinquième étage du Cascade's Museum.



Et en quel honneur devons-nous aller jouer les anges gardiens ? ai-je demandé avec étonnement, tout en suivant ma Sentinelle jusqu'à la camionnette.



Je crois que Simon veut qu'on aille prendre un peu l'air, a rétorqué Jim en haussant les épaules avant de démarrer. D'ordinaire, ce genre de cas était confié aux pompiers, aux services sociaux, ou aux gars en patrouille. J'ai toutefois accepté la réponse de mon partenaire. Après tout, je n'avais rien contre cette ballade. J'avais l'impression, depuis que j'étais devenu flic, de faire plus de paperasse que quand j'étais simple observateur, et pas assez de terrain.



Quand on est arrivé, il y avait des gyrophares partout, des curieux amassés en bas de l'immeuble, le tableau habituel dans ce genre d'épisode de la vie de la "grande cité." Rien de très glorieux, à dire vrai. Un pauvre type qui n'avait sans jamais rien demandé que de vivre heureux s'offrait quelques flashs en tentant le diable. Notre rôle, à Jim et à moi, était d'empêcher qu'il ne tire trop sur la queue de Belzébuth et ne fasse le saut de l'ange.



J'ai décidément un humour déplorable en ce moment. Ce n'est pas de ma faute, je déprime. Ce qui va suivre n'a absolument rien de réjouissant, Monsieur R., et quand vous en saurez plus, vous comprendrez pourquoi cela m'a autant remué.



Ça devait juste être un cas banal.



Je crois que je devrais arrêter de dire ça. Il n'y a jamais de cas banal, parce qu'à chaque fois, ce sont des êtres humains qui sont impliqués, avec leurs problèmes, leurs histoires, leurs tragédies.



Jim et moi sommes montés rapidement au cinquième étage. Cette partie de l'immeuble avait été évacuée. On a pu se rendre sans encombre jusqu'au balcon où s'était réfugié le forcené.



Vous êtes déjà au courant, Monsieur R., que je déteste le vide. Dès que j'ai vu ce type assis sur la balustrade, j'ai eu un haut-le-cœur.



Monsieur Breen ? a demandé Jim, pour engager la conversation. Le bonhomme s'est retourné, se mettant dangereusement en déséquilibre.



Allez-vous-en, je n'ai pas besoin de la police. Je veux en finir.



Walter… C'est bien votre prénom, n'est-ce pas ?



Qu'est-ce que ça peut vous faire ? a braillé l'autre.



C'est moi qui ai répondu. A mon grand étonnement, j'ai réussi à faire trois pas vers la balustrade.



C'est important pour nous, Walter. On veut vous aider. Pourquoi… – j'ai avalé une grande goulée d'air – voulez-vous sauter ?



Parce que je suis un lâche, a sangloté le pauvre gars. Je le voyais mieux, maintenant. Il devait avoir la soixantaine, le visage rongé par une barbe de plusieurs jours, les yeux cernés par la fatigue, le portrait même du mec qui allait faire une grosse bêtise.



Je pense au contraire qu'il faut beaucoup de courage pour monter jusqu'ici et se percher comme vous. Voyez-vous, j'ai peur du vide, Walter.



Cet aveu a autant étonné le bonhomme que mon partenaire. Autant jouer carte sur table, après tout, il pouvait bien voir que je tremblais de la tête aux pieds. Mes mains étaient moites et j'avais une furieuse envie d'éternuer, mais je redoutais que le moindre geste brusque n'ait des conséquences irrémédiables. J'ai appuyé mes deux mains sur la balustrade et j'ai regardé en bas.



C'est vraiment haut, ai-je dit d'une voix blanche.



Qu'est-ce que vous foutez ici, alors ?



C'est mon boulot, Walter, de venir en aide aux gens. Et vous, qu'est-ce que vous faites, comme travail ?



Je suis un chanteur raté.



J'ai alors remarqué la photo froissée qu'il tenait à la main.



Qu'est-ce que vous chantiez ?



Du coin de l'œil, je vis Jim sur le point de me rejoindre, mais je lui ai fait signe de rester où il était. Je sentais que je gagnais du terrain et l'intervention d'une tierce personne risquait de nous ramener à la case départ. Walter ne regardait plus le vide, mais la photo. Je voyais mal qui était dessus.



Je faisais des spectacles, à Las Vegas, l'année dernière encore. Et puis, ils n'ont plus voulu de moi. J'étais trop vieux, selon eux. Un ringard.



J'ai secoué la tête, très doucement.



Je suis certain que vous connaissez de très belles chansons. Est-ce que vous les chantiez pour elle ?



Elle ?



Je désignais la photo d'un mouvement du menton.



La personne qui est là-dessus.



Il a écarté les doigts et j'ai vu un visage, très jeune, un gamin de deux ans, pas plus.



C'est mon fils, a déclaré Walter avec une pointe de fierté. Je ne l'ai pas vu depuis que cette photo a été prise, a-t-il ajouté avec tristesse et j'avoue que là, j'ai senti un pincement au cœur. Je ne peux pas m'empêcher de me sentir concerné par ce genre d'histoire, moi qui n'ai jamais connu mon père.



Et quel âge a-t-il maintenant ?



Le vôtre, sans doute, m'a répondu Breen en reniflant. Sa mère est partie avec lui, parce qu'elle disait que j'étais un looser. C'était une drôle de bonne femme, un peu fofolle.



Plus il parlait et plus je me sentais mal.



Walter, vous ne croyez pas qu'on pourrait continuer de parler de votre fils dans un endroit plus confortable.



Je suis allé trop vite sur ce coup-là. J'ai vu l'homme se raidir et s'écarter brusquement de moi. Mais ce faisant, il a glissé sur la balustrade.



Je n'ai pas réfléchi deux secondes et je me suis rué vers lui, l'attrapant par la taille.



On a basculé tous les deux dans le vide.



Mais comme je suis là pour vous raconter l'histoire, vous vous doutez bien, Monsieur R., que nous ne nous sommes pas écrasés cinq étages plus bas.



Au moment où j'ai perdu l'équilibre, j'ai senti une main m'attraper par le col de ma veste, une autre par ma taille, et j'ai été stoppé net dans ma chute. Mais Walter était lourd, très lourd, et la douleur s'était réveillée dans mon épaule blessé.



Jim ! je vais lâcher.



Tiens bon, grand chef. Je ne vous laisserai pas tomber. Mais il faudrait que notre gaillard y mette du sien aussi.



J'ai baissé les yeux vers Breen qui me fixait avec une expression de terreur sur le visage.



Un petit effort, Walter. Attrapez le barreau sur votre gauche.



Je n'y arriverai pas, a-t-il gémi.



Mon coéquipier a raffermi sa prise. Je le savais déterminé à tenir coûte que coûte, mais, malgré toutes ses qualités, ce n'est pas Superman.



Je nous avais mis dans de beaux draps.



Breen, ai-je hurlé, vous allez vous remuer les fesses.



Autant pour la diplomatie et le dialogue conciliant.



Attrapez ce satané barreau, ou dans deux minutes, on s'écrase et on ramassera vos morceaux à la petite cuillère. Vous voulez emporter la mort de deux flics avec vous dans l'autre monde ?



Autant y aller au bluff et espérer que notre lascar était croyant. Les flammes de l'enfer ont dû lui chatouiller les orteils, car je l'ai vu tendre la main vers le barreau en question. Pendant ce temps, Jim faisait des efforts désespérés pour nous remonter tous les deux. J'ai essayé d'agripper Walter par les fesses pour le remonter un peu, ça nous a fait gagner un ou deux centimètres, mais ça a été suffisant.



Après, je ne me souviens plus très bien de ce qui s'est passé. Mes bras ont été soulagés d'un poids immense, la douleur me poignardait l'épaule, mon coéquipier m'a d'abord remonté, avant de s'occuper de Breen. Une fois ce dernier en sécurité sur le balcon et menotté, Jim est revenu vers moi et m'a examiné sous toutes les coutures.



T'es complètement dingue ! m'a-t-il hurlé à la figure. T'aurais pu y rester.



Je n'allais pas le laisser…



Comme ça, au lieu d'un mort, il y en aurait eu trois.



J'ai écarquillé les yeux.



Oui, trois, a répété mon partenaire. Et il s'est redressé en grommelant des paroles inintelligibles.



Jim ?



Il a baissé les yeux vers moi, des yeux brillants de colère. J'ai tendu la main vers lui.



S'il te plaît, aide-moi.



Mes jambes tremblaient tellement, que j'ai cru, une fois debout, que j'allais tomber. Mon coéquipier a attendu que je reprenne le contrôle de mes membres, avant de se diriger vers Breen qui sanglotait.



Les menottes sont-elles vraiment nécessaires ? ai-je osé demander.



Jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il lui faut des ailes pour voler, oui !



Au ton de ma Sentinelle, j'ai compris qu'il valait mieux que j'en reste là. De toutes manières, la cavalerie est arrivée, avec le psy et tout le bataclan.



Walter Breen a été admis dans un service psychiatrique. J'essaierai d'aller le voir demain. Peut-être pourrais-je l'aider à retrouver son fils, histoire de chasser mes propres démons.



16 novembre.



J'ai dû m'interrompre, hier soir, car j'ai entendu Jim crier dans son sommeil. Il avait fait un cauchemar. Je suis monté dans sa chambre pour voir ce qui se passait, chose que je fais rarement, mais là, il hurlait mon nom, j'étais donc concerné. Quand je suis arrivé, il s'est redressé d'un bond.



C'est toi, grand chef ?



Oui… Tout va bien ? lui ai-je demandé.



Il n'a pas répondu, a secoué la tête comme pour chasser son cauchemar et m'a annoncé tout de go :



J'ai rêvé que je n'arrivais pas à te rattraper et que tu t'écrasais avec Breen sur le trottoir. Mon Dieu…



Il a pris sa tête entre ses mains. Il avait l'air rudement secoué. Moi, j'étais planté comme un benêt à deux pas de l'escalier et je ne savais pas quoi faire. Redescendre maintenant qu'il était réveillé ou discuter avec ma Sentinelle de son angoisse.



Je voudrais un verre d'eau, a murmuré Jim. Je crois que je n'ai jamais descendu les escaliers aussi vite, pour remonter aussitôt. Quand je lui ai tendu le verre, il m'a regardé avec amusement.



Ne reste pas planté là, assieds-toi.



J'ai cherché une chaise des yeux. Il y en avait une près de la commode. Comme j'allais la chercher, mon partenaire m'a attrapé par le bras.



Tu peux t'asseoir sur le lit.



Comme dirait l'autre, terrain mouvant. C'est-à-dire qu'être à moins de vingt centimètres de ma Sentinelle qui était bien sûr en caleçon n'était pas pour arranger… mon état. Mon cœur devait battre à 170. Je me suis installé, crispé au possible, ce que n'a pu que remarquer mon colocataire.



Détends-toi, on a l'impression que tu vas prendre une correction.



Pour la fessée, c'est bon, Simon s'est déjà chargé de me remonter les bretelles.



Je sais, j'ai tout entendu. Et il n'avait pas tort. Tu n'as vraiment rien à prouver. On sait déjà tous que tu es un bon flic. Inutile de te prendre pour Martin Riggs.



Je n'ai pas sa carrure de toutes façons, ai-je rétorqué avec un haussement d'épaules.



Et comme dirait son coéquipier : "Je suis trop vieux pour ces conneries."



Jim m'a regardé avec une lueur amusée dans le regard. J'ai secoué la tête.



Je n'allais tout de même pas laisser Walter se fracasser le crâne sur le trottoir, ai-je lancé avec ressentiment. Toi, tu cours après une voiture et tu sautes sur son capot, on te traite en héros, moi, j'essaie de sauver une vie et on me tire les oreilles.



Mon coéquipier a posé son verre sur la table de nuit.



Je pense que Simon n'avait pas tort en disant que tu agissais peut-être ainsi à cause de… ce qui se passait entre nous.



Simon est nul en psychanalyse, ai-je bougonné, en faisant mine de me lever.



D'habitude, quand on a une conversation comme celle-ci, c'est moi qui bats en retraite.



Désolé, ai-je murmuré. Je me sens… un peu mal à l'aise. Ce n'est pas très neutre comme territoire.



Ah… on en est au point de définir des zones de neutralité.



J'ai baissé la tête. Jim a soupiré.



Je voudrais bien que ça soit plus simple. Est-ce que je vais devoir me demander, à la moindre tape amicale, comment tu vas bien pouvoir l'interpréter ? Tu vois, il est là, le problème, quand on n'est plus sur la même longueur d'ondes.



Je te signale que je suis… que je suis… amoureux de toi depuis plusieurs mois et que, jusqu'à ce que je te l'avoue, ça n'avait rien changé pour nous.



Mais maintenant, tout est différent. Je n'arrête pas de me demander… ce que ça serait… si on était ensemble comme tu voudrais qu'on soit.



Là, tu es en train de me perdre, ai-je répliqué avec une grimace devant ce demi mensonge.



Ce que ça serait de te prendre dans mes bras et de…



Ma Sentinelle s'est mis à rougir. Je n'étais guère plus brillant.



Tu vois, rien que d'en parler à demi mots, cela me met terriblement mal à l'aise.



Qu'est-ce que tu veux dire ?



Je lui ai lancé un regard en coin.



Que tu me demandes un revirement dont je ne me suis peut-être pas capable, aussi fort que je puisse tenir à toi.



Il m'aurait giflé que je n'aurais pas réagi plus violemment. En quelques mots, il avait de nouveau effacé tous mes espoirs. Il ne pouvait pas faire ça, faire comme si… comme s'il n'y avait pas eu ce baiser. Comme je faisais mine de me lever, il m'a pris dans ses bras. Je me suis débattu, mais il a toujours été plus fort que moi.



Calme-toi, Blair, a-t-il soufflé à mon oreille.



J'avais envie de hurler, et je continuais de lutter comme un beau diable.



Sandburg !



Jim m'a pris par les épaules et m'a obligé à le regarder. Il avait un air sévère que je ne lui avais jamais connu.



Essaie un peu de comprendre ! Je n'ai aucune envie de te perdre, de ruiner notre amitié, mais est-ce pour cela que je devrais… foncer dans la direction que tu m'indiques sans plus réfléchir ?



J'ai essayé de détourner mon regard, il m'a attrapé par le menton.



Et ne pense pas que j'oublie notre baiser. Au contraire. Plus j'y pense et plus ça complique la situation. Est-ce que tu te rends compte que toutes les personnes que j'ai aimées… à ce point, sont mortes ou ont mal tourné ? Ça me terrifie de me sentir à ce point dépendant de toi et de me dire que je pourrais te perdre aussi, si…



Ce n'est pas juste, ai-je crié. Tu ne peux pas me ranger dans la même catégorie que Alex ou Véronica ! Je suis ton Guide !



Justement ! Qui te dit que tout ça n'a rien à voir avec cette histoire de Sentinelle ? Qui te dit que ce… sentiment n'est pas dicté par je ne sais quelle programmation ancestrale, parce qu'un Guide et une Sentinelle doivent toujours être ensemble ? Et nous, là-dedans, qu'est-ce qu'on devient ? Où est notre libre-arbitre ?



Tu as toujours pensé que ton don était une calamité, de toutes façons. Je suis un poids pour toi, encore plus maintenant.



Ne dis pas d'absurdité !



Jim m'a secoué pendant un bon moment. Mais je m'en moquais. Je pleurais et j'arrivais juste à penser : Jim ne m'aime pas. Il ne m'aimera jamais. Sa voix m'a fait sursauter :



Regarde-moi !



J'ai essayé de lui obéir, mais je ne me sentais même plus la force de lever la tête.



Si je m'écoutais… Si je m'écoutais, je prendrais ce que tu me donnes sans me soucier des conséquences, sans me demander ce qui se passerait, le lendemain, à notre réveil, si on pourrait encore se regarder en face. Ce serait la solution la plus facile, mais je n'en veux pas, tu m'entends ! Je n'en veux pas !



Il m'a repoussé, et j'ai cru que j'allais tomber du lit.



Je regrette amèrement d'être monté dans sa chambre. J'aurais dû le laisser se débattre avec son cauchemar, seulement, voilà, j'ai la fâcheuse tendance à vouloir m'occuper de ma Sentinelle.



18 novembre.



Je suis resté deux jours sans écrire. Je n'en avais plus l'envie. En fait, j'ai passé beaucoup de temps avec Walter Breen. Il est complètement effondré et a du mal à admettre qu'il a voulu se suicider. La plupart du temps, il élude le sujet. Les médecins disent que ce n'est pas bon signe. Ils ne pensent pas le laisser sortir avant un bon moment. De toutes façons, mis à part ce fils qu'il n'ose toujours pas contacter, il n'a qu'une sœur dans le Nevada et on n'a toujours pas réussi à la joindre (j'ai demandé ce matin à Rafe, qui a un cousin policier là-bas, si ce dernier ne pourrait pas tenter de la contacter, mais mon collègue m'a rétorqué bien obligeamment que le Nevada, c'était vaste). Personne ne se préoccupe de Walter. On est pareil tous les deux. Je veux dire… Naomi aussi vit sa vie, je ne sais jamais quand elle va débarquer au loft, où elle peut bien être en vadrouille, si elle ne pense pas à m'envoyer un coup de fil ou une carte postale.



J'essaie de convaincre le bonhomme d'appeler son fils. Mais il est têtu comme une mule. Quand je commence à l'énerver, il se lève et se dirige vers la fenêtre, d'un air de dire que la discussion est terminée. Je lui en veux de se montrer aussi puéril. Mais au moins, m'occuper de lui me fait oublier le fiasco qu'est devenu ma vie.



J'ai passé deux jours vraiment terrible, mais il s'est passé quelque chose, Monsieur R., dont je devais absolument vous parler.



C'est à propos de Jim… bien sûr.



On n'a quasiment pas échangé deux mots jusqu'à hier soir. Jusqu'à cette course-poursuite dans une usine désaffectée. En attendant que le cas de Miyu soit réglé, on est allé prêter main forte à Megan et Joël. Ils avaient eu un tuyau comme quoi une vente de chiens de combat allait se faire dans cette usine. Ils avaient besoin de renfort, on n'avait rien d'autre à faire, mon coéquipier et moi, qu'à se regarder en chien de faïence. Autant changer d'os à ronger pendant quelques heures. On est donc allés les rejoindre à leur planque. Le tuyau n'était pas percé et vingt minutes après notre arrivée, une fourgonnette s'est pointée à l'entrée de l'usine. Jim nous a prévenu que des chiens se trouvaient à l'intérieur. Après, trois voitures noires sont venues se garer près de la fourgonnette : les acheteurs.



Jim et moi avons pénétré dans l'usine par l'entrée ouest, Connor et Taggart par l'entrée sud. On a pris nos suspects en pleine négociation. Le problème, c'est qu'ils étaient armés et vifs : de vrais lévriers. Je ne suis pas un spécialiste de la chasse à courre, mais je me suis lancé dans la traque quand même… Je ne sais pas ce qui m'a pris de poursuivre un des deux gros malabars qui étaient venus apporter les chiens, mais j'avais plus de cervelle que lui et il aura certainement mal au crâne pendant toute une semaine, avec toutes les barriques qu'il a pris sur lui. Jim a eu droit à un molosse plus coriace, dans le sens littéral du terme. Avec sa manie de se précipiter vers les voitures, il s'en est pris au conducteur de la fourgonnette, lequel a eu le temps de lâcher deux rottwellers sur ma pauvre Sentinelle. Sans l'aide de Taggart, mon coéquipier aurait pu s'en tirer beaucoup plus mal. La cavalerie est arrivée, accompagnée de deux inspecteurs de la brigade cynophile qui se sont occupés de récupérer les braves toutous en fuite.



J'en ai voulu à Simon de retenir Jim aussi longtemps, mais quand j'ai voulu que ma Sentinelle aille se faire soigner, elle a refusé.



Ce n'est qu'une égratignure, et on a de quoi s'occuper de ça à la maison.



De retour au loft, j'ai joué les infirmiers.



Jim, tu aurais mieux fait d'aller à l'hôpital, lui ai-je dit en découvrant son omoplate ensanglantée. J'ai senti ma gorge se nouer, tandis que j'appliquais un peu de désinfectant sur une compresse.



Tu sais bien que je déteste ce genre d'endroit. J'y vais déjà trop souvent à mon goût.



Il s'est raidi quand j'ai appliqué la gaze sur sa blessure. Mes mâchoires se sont crispées. Et pendant tout le temps où j'ai nettoyé sa plaie, je suis resté silencieux. Je le sentais qui faisait des efforts pour réprimer ses sursauts à chaque fois que je passais la compresse sur la chair à vif. Une fois que j'eus fini, j'ai mis un pansement sur sa blessure. Et puis, distraitement, sans même y penser, j'ai effleuré sa peau du bout des doigts. Aussitôt, mon cœur s'est emballé. Je m'étais interdit de le toucher depuis ces deux jours et ce simple frôlement m'a fait comme une décharge électrique. J'ai tout de suite retiré ma main.



Continue…



Au début, j'ai cru que j'avais rêvé. Puis Jim s'est retourné et m'a fixé droit dans les yeux, répétant sa requête. Il m'a de nouveau tourné le dos et ça a été plus fort que moi. J'ai commencé à tracer les contours du pansement, puis à faire des cercles de plus en plus larges. Les muscles tressaillaient sous mes doigts. L'effleurement est devenu caresse, j'ai finalement osé poser la paume de ma main sur son omoplate indemne.



Il m'est souvent arrivé de me demander quelle sensation ce serait de toucher ma Sentinelle de cette façon. J'ai fantasmé sur cette idée toutes les fois où je regardais mon coéquipier se balader dans le loft torse nu (en ignorant tout des pensées enfiévrées qui me traversaient l'esprit, tandis que je l'observais). Mais quand ma main s'est posée sur lui… Mon Dieu, je n'ai jamais rien ressenti de tel. Cela me laisse un souvenir presque aussi fort que le baiser que nous avons échangé. Sa peau est vraiment très douce… et chaude… et si vivante.



A force de vivre avec une Sentinelle, j'ai appris à faire plus attention à ce que mes sens captaient. Je n'aurai sûrement jamais les capacités de Jim, mais j'ai développé… comment dire… une certaine sensibilité. Comme j'aimerais savoir ce qu'il ressent quand il touche quelque chose d'agréable, quand il goûte un bon plat, quand il respire un parfum suave. Bien sûr, vous allez me dire qu'il y a l'opposé. Tout à un prix, je suppose.



Je me suis mis à respirer Jim, toujours concentré sur le velouté de sa peau. Il sentait tellement bon. Il a toujours détesté les parfums ou les after-shave trop forts. Il aime les fragrances un peu mentholées. Je ne sais pas pourquoi, à ce moment-là, j'ai pensé tout de suite aux prairies de haute montagne et à un petit vallon gorgé de calme et d'ombre par une fin d'après-midi trop chaude. Jim a laissé échapper un son inarticulé, comme ma main descendait le long de sa colonne vertébrale. Il s'est cambré quand j'ai atteint sa taille. Je n'ai pas osé franchir cette limite. Je redoutais aussi qu'il ne se retourne et ne voit mon visage. Je devais rougir… et pleurer. Je ne m'en souviens pas très bien, l'émotion me submergeait tellement que je n'ai gardé que des impressions très fortes, mais impossibles à démêler. Je me rappelle que j'aurais voulu pleurer, rire et… l'embrasser.



Quand je me suis aperçu que je m'étais penché vers lui et que mes lèvres n'étaient qu'à quelques centimètres de sa peau, j'ai fait un brusque bond en arrière. La trousse de secours s'est renversée et son contenu a heurté le sol avec un bruit incroyable. J'ai reculé, rompant le contact et balbutiant peu après des excuses. Jim ne s'est pas retourné. Il s'est contenté de prendre sa chemise en lambeaux et de monter dans sa chambre, sans même m'adresser un regard.



J'ignore si je lui en suis reconnaissant ou si je lui en veux. Je n'ai rien pu voir de son visage. Impossible de savoir si ce… si cet instant d'intimité incroyable l'a autant bouleversé que moi.



Chapitre 3



19 novembre.



Aujourd'hui, j'ai encore eu une sacrée frayeur. Toute cette histoire m'a d'ailleurs tellement secoué que j'ai failli me coucher sans même vous parler, Monsieur R. Il faut dire aussi que Jim et moi nous sommes encore disputés.



C'est à propos de Walter.



Les médecins estimant qu'il allait un peu mieux (ou plus exactement que son assurance ne couvrirait pas plus longtemps ses frais médicaux), ils l'ont laissé quitter l'hôpital. Un policier en uniforme l'attendait pour l'amener au Major Crime. Simple routine pour clore le dossier.



J'étais en train de broyer du noir à mon bureau. Jim, lui, était parti escorté Miyu Izumi au tribunal où on statuerait sur son sort. J'aurais dû aller avec lui, mais j'étais tellement mal fichu, avec ce satané rhume, que Simon et lui m'ont ordonné de rester au bureau, pour me recoller devant des dossiers et des rapports. Cette manie commence sérieusement à m'agacer. Je m'étais attelé à la tâche avec un zèle des plus moroses, quand j'ai reconnu la voix de Breen qui sortait de l'ascenseur et discutait avec son escorte, je me suis levée pour l'accueillir. On a commencé à parler dans le hall. J'ai essayé de mettre de côté mes problèmes pour aider Walter. Il semblait effectivement aller mieux. Il parlait de retrouver son fils, que si ça ne marchait pas, il irait chez sa sœur.



Les portes de l'ascenseur se sont ouvertes, tandis que nous discutions, et j'ai tout de suite croisé le regard de Jim. Rien qu'à son expression, j'ai compris que ça s'était mal passé au tribunal. Miyu, elle, semblait, à ce que je m'en souviens, bizarrement amorphe. Elle regardait le sol, tandis qu'elle marchait. Mon partenaire l'a confiée à Kyle, un policier en uniforme qui l'accompagnait, et s'est dirigé vers Walter et moi.



Je me souviens très bien de la scène. Miyu partant sur la droite avec Kyle, Jim se dirigeant vers nous, Brown qui revenait avec un café à la main. Dans ma mémoire, ça se déroule comme un ralenti.



Tout à coup, j'ai entendu Kyle pousser un cri. J'ai juste eu le temps de voir Miyu qui l'avait bousculé et s'était emparé de son revolver.



J'ignore toujours qui elle visait exactement : Walter, Jim ou moi. Mais ma Sentinelle a réagi au quart de tour en se jetant sur Breen et moi. Le coup de feu a fait un boucan de tous les diables. La balle n'est pas passée très loin de la tête de Walter et encore moins loin de celle de Jim. J'ai entendu H jurer et tout le monde crier en même temps. Mais je ne pouvais rien voir. J'étais écrasé par Walter qui n'arrivait pas à se relever. Heureusement, mon coéquipier est venu à notre rescousse. Je resterai toujours étonné par son incroyable sang-froid. Kyle avait réussi à attraper Miyu par la taille et l'avait fait tomber, pour la désarmer. Quand elle s'est remise debout (quasiment en même temps que moi), elle avait quatre flics qui la braquaient avec leurs armes. Elle semblait complètement folle. Elle s'est mise à ricaner comme une démente, avant de cacher son visage entre ses mains. Puis elle s'est effondrée et Kyle a juste eu le temps de la récupérer dans ses bras. On l'a ensuite plus traînée qu'emmenée dans sa cellule.



Jim m'a encore sauvé la vie, de même que celle de Walter.



Maintenant, Monsieur R., cela n'explique toujours pas pourquoi nous nous sommes disputés.



J'y viens, ne vous impatientez pas.



J'ai aidé Walter à aller jusqu'à la chaise de mon bureau. Jim est allé nous chercher un café pour nous remettre de nos émotions (Brown, lui, en avait eu pour son compte, la boisson s'était renversée sur lui quand il avait plongé pour éviter la balle). Breen avait l'air assez secoué. Moi, je cachais mes mains dans mes poches pour éviter qu'on puisse voir combien elles tremblaient. Le calme a mis un bon moment à revenir dans le service. Simon est allé voir Kyle pour savoir ce qui s'était passé exactement (il était dans son bureau au moment de l'incident), puis il est revenu avec un air plutôt sombre. Il s'est arrêté à notre hauteur et nous a demandé comment nous allions. Jim est arrivé à ce moment-là.



C'est à croire que la Mort vous en veut, Monsieur Breen, a fait mon partenaire, en insistant bien sur le "Monsieur." Il a tout de même tendu le café à Walter qui l'a regardé sans répondre. J'ai pris Jim par le bras et je l'ai emmené un peu à l'écart.



Qu'est-ce qui t'a pris ?



Ce gars-là ne va t'attirer que des ennuis, a maugréé mon coéquipier.



Il cherche son fils, c'est tout. Tu ne crois pas qu'on pourrait l'aider, au lieu de lui tirer dans les pattes.



Oh, non, Sandburg. Je te vois venir avec tes gros sabots.



Que veux-tu dire par là ?



N'essaie pas de me faire croire que tu n'as pas imaginé qu'il pourrait être ton père. Quand il a parlé de son fils et de son ex sur le balcon, j'ai bien vu comment tu as réagi. Mais ce n'est pas ton père. Déjà, vous ne vous ressemblez pas du tout. Ensuite, Naomi n'est pas la seule fofolle sur Terre. Enfin, tu devrais arrêter de t'acharner sur les cas désespérés.



Il était d'une mauvaise foi incroyable. J'ai vu rouge et je lui ai sorti :



De toutes façons, ce ne sont pas tes affaires. Toi, tu as la chance d'avoir un père, mais il n'y a pas moyen que tu échanges deux mots avec lui, sans que ça se termine en pugilat. De toutes façons, c'est ta politique : quand une relation te dérange trop, tu fermes toutes les portes et tu laisses les autres se débrouiller. Walter pourrait être mon père. Je dois reconnaître que sans ton intervention aujourd'hui, je n'aurais jamais eu l'occasion de le savoir, mais maintenant, je vais faire en sorte qu'il retrouve son fils. Ce n'est probablement pas moi, mais et alors ? On soigne son passé comme on peut. Le fait de l'enfouir au plus profond de soi, au lieu de le regarder en face est peut-être ta méthode, mais ce n'est pas la mienne. Alors, oui, je m'intéresse à Breen. Tu es peut-être mon coéquipier et ma – j'ai baissé d'un ton – Sentinelle, mais tu n'es pas ma nounou. C'est toi qui m'as appris à aider les gens et c'est aussi pour ça que j'ai décidé de devenir flic.



Ma diatribe finie, je le plantais là et retournais voir Walter. J'ai alors commencé à lui poser des questions sur son fils, en lui précisant que j'avais l'intention de le retrouver. Le vieil homme a secoué la tête.



Je sais déjà où il habite.



Le cœur battant, je lui ai demandé :



Quel est le prénom de votre fils ?



Il m'a regardé un long moment, j'ai cru que j'allais arrêter de respirer.



Jason, a-t-il répondu. J'ai fait aussi bien que j'ai pu pour cacher ma déception. Autant pour mes espoirs les plus fous. Je n'avais plus qu'à refermer la blessure qui s'était rouverte, mais comme je l'avais dit à Jim, on pouvait vaincre ses démons autrement qu'en les cantonnant dans un recoin sombre de notre mémoire. Je n'étais pas le fils de ce Walter Breen, eh bien, peu importait. J'allais l'aider à retrouver sa famille.



21 novembre.



Je suis en train de faire ma valise.



Je vais partir, Monsieur R., c'est la seule solution. Je n'en peux plus de tourner en rond dans le loft. Et c'est une perche que me tend le destin, mieux vaut que je ne la laisse pas passer.



C'est ça ou continuer de m'enfoncer comme ces derniers jours.



Mais il y a encore quelque chose qui me retient, et c'est pour ça que je vous en parle.



Je ne sais même pas par où commencer. Par Walter, ce serait le plus simple.



Je me suis débrouillé pour retrouver son fils. J'ai tout simplement pris l'annuaire. Jason Breen tient un night club. D'après lui, c'est un homme très occupé, trop pour accorder au moins cinq minutes à un jeune flic qui restait bien trop vague sur ses motivations. J'ai donc dû finir par cracher le morceau et j'ai fait une grosse erreur. Dès que j'ai prononcé le nom de Walter Breen, j'ai senti l'homme au bout du fil se crisper. Quand j'ai ensuite précisé que Walter voulait le rencontrer, Jason m'a rétorqué d'une voix blanche qu'il n'avait pas de père, qu'il n'avait plus de famille depuis que sa mère était morte. Et il m'a raccroché au nez.



Je me suis ensuite rendu au night club, le Pasadena. Jason m'a vu arriver de loin. Il discutait avec une de ses serveuses et dès que son regard a croisé le mien, j'ai su qu'il savait qui j'étais. Il m'a tout de même écouté, pour me rétorquer :



Savez-vous ce qu'est un père, Monsieur Sandburg ?



J'ai été bien en peine de lui répondre. La seule figure qui me venait à l'esprit était celle du Frère Marcus, du monastère de Saint Sébastien, face à tous les hommes que ma mère avait fréquentés. Ils avaient été des copains, dans le meilleur des cas, mais jamais des pères.



Un père, c'est quelqu'un qui est là pour vous soutenir dans tous les moments de la vie. C'est quelqu'un qui est fier de vous quand vous gagnez un match de base-ball, quelqu'un qui s'inquiète de savoir quelles études vous ferez plus tard, quelqu'un qui vous protège. Je n'ai jamais connu un tel homme et ce Walter Breen dont vous dites qu'il est mon père n'en fait certainement pas partie. Nous avons peut-être le même sang, mais cela fait-il pour autant de lui un père ?



Jason m'a fixé d'un air sévère. J'aurais voulu trouver quelque chose à lui dire, mais je voyais dans le regard de cet homme une souffrance qui ressemblait trop à la mienne. Je me suis contenté de lui donner les coordonnées de Walter. Je ne pouvais rien faire d'autre.



Et quand je suis rentré, une autre "déception" m'attendait.



Jim venait d'apprendre qu'il devait escorter Miyu Izumi au Japon. Il hurlait si fort, dans le bureau de Banks, quand je suis arrivé, que tout le monde pouvait l'entendre dans le service.



Je suis un flic, Simon, pas un livreur de pizzas ! Si les Japonais veulent Izumi, qu'ils viennent la chercher eux-mêmes !



Notre capitaine a demandé à Jim de se calmer, ensuite, je n'ai plus rien entendu, jusqu'à ce que les deux hommes sortent du bureau. Au même moment, une jeune femme brune est arrivée par l'ascenseur. Elle était d'origine nippone, très mignonne, et je l'ai tout de suite détestée.



Bonjour, je m'appelle Lucy Murata. Agent spécial Murata, a-t-elle précisé en montrant sa plaque à Simon et Jim. Quant à moi, j'ai été comme expulsé du tableau.



Melle Murata t'accompagnera au Japon. En fait, elle aurait dû accomplir cette mission avec un de ses collègues, mais on a tenu à ce que tu sois aussi de la partie.



Autant dire qu'on me donne un os à ronger pour m'empêcher de trop aboyer, grommela mon coéquipier. Je n'ai rien contre vous, agent spécial Murata…



Appelez-moi Lucy, l'interrompit-elle avec un large sourire.



Lucy, a répété mon partenaire en lui rendant son sourire.



Mais il a déjà un partenaire, suis-je intervenu. Tous les regards se sont tournés vers moi. Je fulminais.



Je vous présente Blair Sandburg, a fait bien aimablement Jim. Mon coéquipier.



Je n'ai pas l'intention de vous mettre sur la touche, m'a juré l'agent spécial Murata (trop gentille pour être honnête, me suis-je aussitôt dit.) Mais j'ai des ordres et je dois les suivre. Le mieux est de régler cette histoire le plus professionnellement possible.



J'ai tout fait pour ne pas la regarder de travers, mais ça a été plus fort que moi. Dieu que j'étais jaloux. Je n'ai jamais été aussi… possessif avec mes petites amies… sauf peut-être avec Maya. Mais là, en plus, c'était le Guide qui se sentait personnellement visé.



Vous ne comprenez pas…, ai-je commencé, Jim et moi…



Tout se passera bien, grand chef, m'a interrompu ma Sentinelle qui savait parfaitement ce que j'avais en tête. Jim a posé sa main sur mon épaule et au même moment, a invité cette Lucy à déjeuner. Avant que j'ai pu dire ouf, mon partenaire était parti avec la belle plante orientale.



Ne faites pas cette tête, Sandburg. Elle ne va pas vous le manger, m'a lancé Simon. Tout ce que j'ai pu faire, c'est hausser les épaules. Et là, je ne sais pas ce qui m'a pris, je suis sorti du Major Crime comme une bombe et en moins de deux, j'étais au volant de ma Volvo.



Je suis allé chercher Walter Breen à son hôtel. Il se préparait à repartir. Je ne lui ai pas laissé le temps de dire quoi que ce soit. Je l'ai poussé dans ma voiture et je l'ai conduit jusqu'au night club de son fils.



Ne laissez personne se mettre entre vous et ceux que vous aimez, lui ai-je dit, avant de le pousser à l'intérieur. Jason était là, bien sûr. Quand il nous a vus entrer, son premier mouvement a été de nous faire sortir par un de ses gorilles, mais quand ce dernier a approché, j'ai sorti ma plaque. Heureusement, ce seul argument a suffi. Jason est ensuite venu, et, en ne regardant que moi et en ne s'adressant qu'à moi, il m'a balancé :



Que faites-vous ici ?



Jason, laissez-moi vous présenter votre père, Walter.



Et j'ai poussé Breen Senior sous le nez de son rejeton. Ce dernier, malgré tous ses efforts, n'a pu que croiser le regard de son géniteur, lequel était complètement sidéré. Alors Jason a tourné les talons. Je lui ai couru après et j'ai commencé à lui parler, très vite, comme je sais si bien le faire (si Jim avait été là, il m'aurait dit de respirer, je suis parfois moi-même étonné par la quantité de mots que je peux aligner en une seule phrase). Breen Junior a commencé à ralentir le pas, avant de me fusiller du regard. Il m'a demandé :



Qu'est-ce que vous gagnez dans cette histoire ?



Je lui ai répondu franchement :



Je ne sais pas qui est mon père.



Il a ricané.



De quoi vous plaignez-vous ? Vous pouvez imaginer tout ce que vous voulez sur lui, tout, sauf – il a eu un geste pour désigner son père – ça. Je n'ai jamais laissé personne me dicter ma conduite, Monsieur Sandburg, encore moins un petit flicaillon en mal de parenté. Si vous le voulez, mon père, je vous le donne. Moi, je n'en ai plus besoin, gronda-t-il avec toute sa rancœur.



Cette réplique m'a cloué sur place. Je me suis alors rendu compte de l'énorme erreur que je venais de faire. Je connais pourtant ce genre de type, j'en ai côtoyé un pendant quatre ans.



J'avais réussi mon coup : Walter était désormais à la même enseigne que moi.



Quand je me suis retourné et que j'ai vu son regard, je m'en suis voulu à mort. Si j'avais pu trouver un trou où me cacher en attendant la fin du monde, je m'y serais enfoui. Il s'est retourné d'un bloc et il est sorti du night club. Quand je l'ai rejoint, il appelait un taxi.



Walter… Walter, je suis désolé, ai-je tenté de m'excuser. Il s'est retourné et m'a regardé.



Au moins, maintenant, je suis fixé. Je n'ai plus d'illusions à me faire.



Mon Dieu, je lui avais enlevé tout espoir. J'étais encore plus mortifié.



Je vais rentrer au Nevada, a-t-il murmuré dans un soupir à fendre l'âme. Le taxi est arrivé, Breen est monté dedans, je l'ai regardé partir comme un idiot.



Quand je suis revenu au Major Crime, Rafe m'a dit que Jim me cherchait partout. Il était dans les vestiaires et rassemblait ses affaires.



Je prends l'avion demain matin, grand chef.



Je suis resté abasourdi durant de longues secondes. Mon partenaire m'a regardé.



Je pense… qu'il faut le faire. On a besoin de réfléchir, tous les deux.



Je te signale que c'était ce que j'avais l'intention de faire, quand j'ai quitté le loft il y a une dizaine de jours, lui ai-je asséné, les bras croisés sur la poitrine. C'est toi qui es venu me chercher.



J'ai fait une erreur.



J'ai sursauté comme si on m'avait piqué au vif.



Nous deux, c'est une erreur ? lui ai-je demandé d'une voix étranglée. Il s'est contenté de me regarder.



Je n'en sais rien.



Et le baiser ? ai-je ajouté en désespoir de cause. Ma Sentinelle a secoué la tête. J'ai eu un mouvement de recul.



Ecoute, on en reparlera à mon retour, OK ?



J'entendais les mots, mais ils n'avaient plus aucun effet sur moi. Je suis sorti du vestiaire comme dans un brouillard.



Jim n'est même pas rentré hier soir. Il a pris directement son avion, en compagnie de Lucy Murata. Il ne sera pas de retour avant deux jours. D'ici là, je serai loin.



Je suis allé voir Walter Breen, ce matin. Et je lui ai parlé. J'ai tenté de lui expliquer les raisons de mes agissements. Quand j'ai eu fini, il m'a adressé un regard chaleureux et a posé sa main sur mon épaule.



Pourquoi est-ce que j'ai tellement besoin d'un père ? Après tout, à mon âge, je n'ai plus à vouloir tout ce dont parlait Jason. Mais ça me manque cruellement, surtout en ce moment. Oh, bien sûr, je pourrais me confier à ma mère, mais je la connais. Il faut admettre qu'elle est plutôt frivole et la dernière fois que nous avons eu une discussion sur mes déboires amoureuses, sa réaction m'a tellement déconcertée que j'ai préféré garder désormais mes histoires pour moi. C'est pourtant vrai qu'on a besoin d'une figure masculine pour grandir. Je me suis sans doute dit que Jim pourrait remplir ce rôle. Peut-être que cela explique pourquoi je suis tombé amoureux de lui. Je me trompe peut-être de sentiment… Non, ce que je ressens est vraiment trop fort.



C'est pour ça que je dois partir.



Depuis que j'ai avoué mon amour à Jim, tout est allé de Charybde en Sylla. J'ai atteint le 36ème dessous et je ne veux plus continuer ainsi. Je dois trouver une issue. La fuite ? Pourquoi pas, après tout. C'est bien la méthode de ma mère. Et au moins, le Nevada n'est pas le premier motel venu.



Je vais prendre quelques minutes pour jeter un dernier regard au loft. Ensuite, je partirai. Je me suis demandé si j'allais vous emmener avec moi, Monsieur R. Et puis, finalement, je crois que oui. Je me sens incapable de rompre les ponts et vous êtes mon seul lien avec mon passé.



***



Jim se frotta les tempes et poussa un long soupir. Il avait passé tout l'après-midi à lire le journal de son Guide. Il était arrivé chez Martha Breen le matin, en même temps que le sheriff du coin.



Blair avait disparu depuis la veille.



Martha et Walter étaient dans tous leurs états. L'ancien chanteur était arrivé chez sa sœur quatre jours plus tôt, en compagnie de Sandburg. Il n'avait pas cherché à comprendre pourquoi exactement le jeune policier de Cascade avait tenu à l'accompagner. En entendant cela, Ellison s'était senti terriblement coupable. Lui connaissait les raisons. Les deux dernières semaines avaient été très difficiles pour la Sentinelle et son Guide.



Quand Jim était rentré du Japon et avait découvert le loft vide, il avait immédiatement pensé au pire. Son premier réflexe avait encore été d'appeler Simon, qui lui avait indiqué qu'il était sans nouvelle de Sandburg depuis trois jours. Ensuite, le policier avait pensé à Walter Breen. Il était allé directement à son hôtel, avait interrogé le personnel qui lui avait confirmé qu'un jeune homme répondant au signalement de son Guide, était venu chercher Breen et qu'ils étaient partis tous les deux.



Ellison avait d'abord hésité. La dernière fois qu'il avait retrouvé son partenaire, cela n'avait pas arrangé leur problème, au contraire. Mais il ne supportait pas le silence et l'absence qu'il ressentait au loft et il refusait plus que tout l'idée de perdre Blair. Pourtant, ce dernier avait toutes les raisons de vouloir le quitter, quand Jim considérait la façon dont il s'était comporté avec lui. Mais après ce qui s'était passé avec Lucy… La Sentinelle secoua la tête et considéra l'écran du portable de son Guide, relisant les dernières phrases de son journal.



Il était effaré de voir combien il avait fait souffrir son coéquipier. Au début, il s'était senti très mal à l'aise de plonger ainsi dans son intimité, mais il lui fallait un indice pour le retrouver. Alors, il avait laissé ses scrupules de côté et s'était comporté comme un flic. Ça, au moins, il savait faire. Pour ce qui était des relations avec autrui, il avait décidément beaucoup à apprendre.



La sincérité de Blair l'avait touché. Il se rendait compte que son Guide avait dû se forger une armure, à force de vivre avec lui. Comment en était-il arrivé là ? Avoir pour seul confident une machine ? Normalement, c'était à Jim qu'il aurait dû dire tout ce qu'il avait écrit dans son ordinateur. Sauf que c'était justement sa Sentinelle, le cœur du problème. Ma Sentinelle… Jim frémissait à chaque fois qu'il lisait ces deux mots. C'était à la fois très possessif et très… Il n'arrivait pas à le décrire. C'était comme un écho du lien qui les unissait tous les deux. Ellison disait volontiers mon Guide, mais jamais à voix haute, et surtout jamais devant Blair.



Vous avez trouvé quelque chose ? le fit sursauter la voix de Martha Breen. Il se retourna pour la voir sur le seuil de la chambre. C'était une femme d'une soixantaine d'années, la jumelle de Walter, en fait. Elle avait dû être très belle, dans sa jeunesse, songea le grand détective.



Non, rien de vraiment concluant, répondit-il en secouant la tête. Juste des…



Il fut incapable de terminer sa phrase.



Vous devriez vous reposer. Si vous voulez, je peux vous préparer une autre chambre, à moins que vous ne vouliez dormir dans celle-ci.



Martha Breen tenait une sorte de pension de famille à la sortie de Old Bridge, le petit village où elle était née avec son frère et qu'elle n'avait jamais quitté, contrairement à Walter.



Je préfère rester ici.



Comme vous voulez, Monsieur Ellison.



Appelez-moi Jim.



Jim, répéta la brave femme avec un sourire. Alors, appelez-moi Martha.



La Sentinelle hocha la tête.



A votre avis, où a-t-il pu aller ? demanda son hôtesse. Il fut étonné par cette question.



Vous connaissez la région mieux que moi, Martha. C'est plutôt à moi de poser cette question.



Je connais peut-être le pays, mais je ne connais pas votre ami. Il ne parlait pas beaucoup. Les deux premiers jours, il passait son temps sur la véranda, le regard dans le vide. C'était malheureux de voir un aussi beau jeune homme avec un air aussi triste.



Jim ne put s'empêcher de tressaillir. Il serra les poings et se retourna vers l'ordinateur.



Le dîner sera prêt dans une demi-heure, l'informa Martha.



Je n'ai pas très faim. Merci.



Je vais prier pour que le sheriff Glenn retrouve votre ami, dit-elle encore avant de le laisser. Les prières risquaient de ne pas être suffisantes. Le Nevada était immense. Bien sûr, Blair avait laissé la Volvo quand il était parti la veille, en début d'après-midi. Un homme à pieds ne pouvait pas aller si loin. Mais il y avait tout ce qui pouvait arriver à un homme seul et… désespéré. Il n'y avait pas d'autres mots pour décrire l'état de son partenaire. Jim ferma les yeux et… se surprit à prier : Mon Dieu, faites qu'il ne lui arrive rien. Faites qu'il revienne sain et sauf.



Jim avait appelé Naomi deux heures plus tôt, pour l'avertir (et ça avait été terrible d'entendre la voix inquiète de la mère de son meilleur ami) tout d'abord, et aussi pour lui demander si Blair avait déjà disparu de la sorte.



Oui, ça lui est déjà arrivé, une ou deux fois. Il finit toujours par revenir, vous savez. Il a parfois besoin… de réfléchir. Ne vous inquiétez pas tant, Jim, il reviendra.



Ellison n'avait pas fait part à Naomi de toutes ses inquiétudes, surtout concernant l'état nerveux de son fils. Si quelque chose de grave arrivait, il serait toujours temps de lui en parler. En attendant, il avait préféré ne pas l'inquiéter davantage. De toutes façons, Naomi était en Europe et le temps qu'elle revienne, on aurait peut-être retrouvé son fils… avec de la chance.



Non, pas de la chance, fit la Sentinelle en se levant et en quittant la chambre. Il descendit quatre à quatre les marches de l'escalier, alla dans la cuisine pour avertir Martha et Walter qu'il partait à la recherche de Blair. Ils le regardèrent tous les deux avec stupeur. Breen tenta de l'en dissuader.



Vous ne connaissez pas le pays aussi bien que le sheriff. Il retrouvera votre ami beaucoup plus vite que…



Comme votre sœur me l'a fait justement remarqué, Glenn connaît peut-être le pays, mais il ne connaît pas mon… (il faillit dire Guide) coéquipier aussi bien que moi. Et surtout, il ne possède pas mes capacités, ajouta intérieurement Ellison. Dans quelle direction est-il parti, hier après-midi.



Vers le nord-ouest. J'étais en train d'étendre du linge, quand je l'ai vu sortir de la maison avec un livre sous le bras. Un gros livre, précisa Martha.



Le bouquin de Burton, songea aussitôt la Sentinelle.



J'ai pensé qu'il allait chercher un endroit tranquille pour lire, au bord de la rivière, par exemple. Mais quand j'y suis allée une heure plus tard, il n'y était pas. C'est là que j'ai commencé à m'inquiéter.



Mais Jim ne l'écoutait déjà plus. Il attrapa sa veste en sortant et se dirigea vers la rivière.



La nuit commençait déjà à tomber. Il faisait un temps glacial. Les étoiles brillaient dans le ciel, bientôt rejointes par une énorme pleine lune. Quand il entendit un coyote hurler, Ellison frissonna.



Bon sang, Sandburg ! jura-t-il intérieurement. S'il ne le retrouvait pas, son Guide allait passer une deuxième nuit dehors. Par ce froid, quelle chance avait-il de survivre ? La Sentinelle commença à imaginer les pires scénarii, pendant qu'il descendait vers la rivière. Il avait réussi à tenir la bride à son imagination pendant toute la journée, mais là, dehors, avec tous les bruits qui lui parvenaient, elle galopait comme une folle. Toutes sortes d'images atroces lui traversèrent l'esprit :



Blair, gisant quelque part, avec une jambe cassée ou pire…



Le corps de son Guide qu'on retrouverait seulement des mois plus tard, dévoré par des coyotes.



Blair l'appelant, le suppliant de venir l'aider, mais bien trop loin pour qu'il puisse l'entendre…



Jim se rendit compte juste à temps qu'il allait zoner.



Ce n'est pas le moment, Ellison, pesta-t-il contre lui-même. Il était arrivé à la rivière et commença à en remonter le cours. Aucune trace de passage, mis à part celui de quelques animaux. Il fit le chemin en sens inverse, tous ses sens en éveil, prenant bien soin de ne pas se concentrer plus sur l'un que sur l'autre, pour ne pas zoner.



Là ! Une branche cassée. Et ça n'a pas pu être fait par un gros animal. Mis à part les coyotes, il n'y a que des lapins dans le coin. La Sentinelle se précipita, sentant qu'elle était sur la bonne voie. Continuant à descendre la rivière, Jim trouva d'autres traces du passage de son Guide, que personne, sans doute, à part lui, n'aurait pu remarquer, comme cette empreinte à peine visible sur la berge, entre deux bosquets de roseaux. Le sheriff et ses hommes avaient pourtant fouillé les environs, en s'éloignant un peu de la rive, Jim remarqua des traces de bottes. Mais ils n'avaient pas pensé à examiner la rivière de plus près… d'aussi près qu'une Sentinelle cherchant désespérément son Guide pouvait le faire.



Une phrase du journal de Sandburg lui revint en mémoire :



Si j'avais pu trouver un trou où me cacher en attendant la fin du monde, je m'y serais enfoui.



Un trou… Il devait chercher un trou.



Il dut bien faire une bonne dizaine de kilomètres en longeant la rivière, avant de commencer à perdre courage.



Je ne le retrouverai jamais, gémit-il.



Blair ! cria-t-il aux arbres. Aucune réponse. Il s'arrêta, ne sachant plus que faire. Il avait froid, ses mains étaient terriblement engourdies, bien qu'il les ait protégées en les mettant dans ses poches. Il ne sentait presque plus ses pieds. Il hésita encore. Puis poussa un juron. Pas question de laisser son partenaire passer une nuit de plus dehors.



Blair ! Je t'en prie, réponds-moi !



Et qui lui disait que son Guide voulait être retrouvé ? insinua une voix qu'il tenta de chasser aussitôt. Peut-être était-il en train d'agoniser à quelques pas de lui, parce qu'il refusait de lui répondre.



Grand chef ! Pardonne-moi !



Comme si ça allait marcher. Il lui avait déjà demandé pardon, pour ensuite le repousser de plus belle. Aucune parole qu'il trouverait à dire ne suffirait. C'était trop tard ! Beaucoup trop tard !



Jim ferma les yeux. C'était trop atroce.



Tout ça à cause de mon égoïsme. Tout ça à cause de mes peurs.



Les homosexuels sont des malades. Ils ne sont pas comme nous.



Ce sont des dépravés. Ils n'ont aucune morale.



Qui est-ce qui porte la culotte, des deux ?



Tu sais bien ce qu'on dit sur les pédés…



Non ! haleta Ellison, saisi de panique. Il lutta pour cesser de trembler.



Pourquoi devrais-je me sentir coupable de vouloir le prendre dans mes bras ?



Pourquoi est-ce que je devrais avoir peur de tout ce que les gens diront ? Ils ne savent rien. Ils ne nous connaissent pas. Ils n'ont pas à nous juger.



Pourquoi devrait-il combattre ce qu'il ressentait ? A cause de la honte ? Il repensa à ce qui s'était passé avec Lucy.



Je me suis servi d'elle… pour… pour m'assurer que j'avais toujours ma virilité.



Il revit son regard, quand il l'avait repoussée. Le même regard que Sandburg.



Je ne voulais pas, fit la Sentinelle, consternée. Blair, je t'en prie… Je t'en prie… Je t'aime…





Chapitre 4.





Avec une infinie patience, la Sentinelle commença à nettoyer le corps inerte de son Guide. Elle commença par ses pieds, remontant lentement le long de ses jambes, tout en tentant de réprimer les frissons qui la parcouraient. Elle n'osait pas lever les yeux vers le visage pâle, trop pâle, gisant au creux d'un énorme oreiller. Par fragments, les évènements de la nuit lui revinrent en mémoire.



C'était un véritable miracle que le shériff Glenn les ait retrouvés au bord de la rivière. Jim avait pu localiser son Guide, qui s'était caché dans une espèce de fosse. Inerte, il tenait le livre de Burton fermement serré contre sa poitrine. Il n'avait pas ouvert les yeux quand son coéquipier l'avait appelé. Il n'avait eu aucune réaction, pas même quand Jim l'avait serré dans ses bras, répétant son nom encore et encore. La Sentinelle s'était ensuite débattue pour le sortir de ce trou infâme. Au terme de ses efforts, il s'était trouvé trop épuisé pour continuer. Heureusement, Glenn, ses adjoints et leurs deux chiens avaient retrouvé leur piste. Ils avaient ramené Blair en toute urgence chez Martha Breen.



J'appelle un docteur.



Laissez-le respirer.



Blair, je t'en prie, ouvre les yeux.



Par ce froid, c'est un miracle qu'il respire encore.



Jim, lâchez-le !



La Sentinelle tenait farouchement son Guide dans ses bras et refusait de se séparer de lui ne serait-ce qu'une seconde. Walter avait eu tout le mal du monde à le convaincre de laisser le médecin examiner le jeune homme, quand le practicien était enfin arrivé.



Je peux le ramener, je peux le ramener, n'avait cessé de se répéter Ellison. Il l'avait déjà fait, une fois. Il en avait le pouvoir. Invoquer leurs esprits-animals, faire revenir Blair.



Mon Dieu ! s'était exclamée Martha, je crois qu'il a bougé !



Blair avait gémi quand le médecin avait commencé à essayer de lui faire lâcher le livre. Le bouquin de Burton était dans un triste état, mais dans son inconscience, Sandburg refusait de relâcher son étreinte. Jim avait commencé à lui parler doucement à l'oreille, tentant de maîtriser la panique qui le submergeait, tandis qu'il voyait les membres bleuis de son Guide se rétracter en spasmes de plus en plus violents. En dernier recours, Ellison avait parlé en Chopec au jeune homme, et celui-ci avait enfin entendu raison. Le livre sur les Sentinelles était tombé de ses mains. Personne n'avait pensé à le ramasser, tellement l'état de Sandburg les préoccupait tous. Ses frissons étaient de plus en plus prononcés. Il avait poussé une sorte de cri, se débattit. Jim l'avait repris dans ses bras :



Je t'en prie, Blair, je t'en prie, calme-toi.



Quand Walter avait essayé d'écarter Ellison, le docteur était intervenu :



Non, laissez-le faire. Lui seul semble pouvoir le calmer. Et sa chaleur corporelle peut le maintenir en vie. Je n'ai pas le matériel nécessaire pour procéder dans les règles, alors, on va essayer les recettes de grand-mère. Il me faut des couvertures, de l'eau bouillante et… des prières, avait soupiré le practicien avant de retirer les vêtements du jeune homme. Blair avait plusieurs ecchymoses sur la poitrine, sans doute provoqué par des chutes, tandis qu'il tenait le livre de Burton. Les marques étaient nettes et tranchaient sur la peau diaphane. Quelques minutes plus tard, Walter et Martha étaient revenus avec ce que le docteur avait demandé. En quelques instants, Blair avait été enveloppé dans une véritable cocon. On avait mis une bouilloire à ses pieds. Sandburg claquait des dents tellement fort que Jim craignait qu'il ne se les brise.



Et maintenant, il reposait si calmement.



Sa température était encore un peu basse, mais il était en bonne voie de guérison. Le docteur avait dû repartir pour une autre urgence, puis il était passé deux fois depuis le matin. A chaque fois, il ne pouvait que constater que, grâce aux soins prodigués par un Jim Ellison exténué et obstiné (il refusait qu'on l'examine et avait juste accepté de changer de vêtements), son patient commençait déjà à recouvrer ses forces. Martha en avait profité pour apporter de la soupe à ses deux pensionnaires. Jim avait tenté de faire manger Blair, mais celui-ci était trop inconscient.



Quand donc ouvrirait-il les yeux ?



Jim ôta quelques brindilles qui étaient restées accrochées dans les cheveux de son Guide. La fatigue qu'il avait combattue ces dernières heures revenaient en force et pesait comme une chape de plomb sur ses épaules. C'était tentant, songea-t-il. Et avant d'y penser davantage, il s'allongea près du jeune homme et le serra contre lui. Il rabattit la couverture sur eux deux et plongea dans un sommeil sans rêve.



Blair se réveilla dans une incroyable sensation de chaleur. Un rayon de soleil venait caresser sa peau et lui réchauffait jusqu'à l'intérieur des os. Comme il baissait les yeux pour se laisser éblouir par cette lumière, il remarqua le bras qui le tenait par la taille. Puis il réalisa qu'il y avait quelqu'un d'autre dans son lit… Et d'ailleurs que faisait-il ici ? Tout se dont il se souvenait, c'était de la rivière, du cul-de-basse-fosse dans lequel il s'était réfugié, le froid… Le froid et la voix de Jim.



Jim !



Blair se retourna d'un bloc, au risque de réveiller sa Sentinelle. Mais celle-ci, profondément endormie, se contenta de grommeler et libéra le jeune homme de son étreinte. Ce dernier se leva en chancelant de son lit et se drapa dans une couverture posée sur un siège près de son lit. Puis Sandburg resta un long moment à contempler son partenaire.



Il m'a retrouvé.



Evidemment, c'est un flic ET une Sentinelle. Tu ne croyais tout de même pas que ton escapade au Nevada suffirait à l'éloigner de toi.



Blair secoua la tête.



Mais pourquoi est-il venu me chercher, puisqu'il… puisqu'il ne m'aime pas ?



Tu connais déjà la réponse.



Comme il secouait de nouveau la tête, il remarqua son reflet dans le miroir, au-dessus de la vieille commode de la chambre. Il fronça les sourcils. Il avait vraiment… une tête de déterré. Ses cheveux étaient un véritable chaos, un amas de boucles sèches, de terre et de brindilles. Et en plus – il se gratta soudain la tête – ça le démangeait furieusement. Comment Jim avait-il pu dormir ainsi contre lui, lui si… sensible ?



Le jeune homme décida immédiatement qu'il avait besoin d'un bain.



Il se précipita aussi vite que le lui permettait son état jusqu'à la salle de bains et commença à faire couler l'eau dans la baignoire. Il s'assit sur le rebord et regarda les bulles de mousse se former à la surface de l'eau. Plongé dans ce spectacle, il n'entendit pas sa Sentinelle approcher.



Blair ? le fit sursauter une voix familière. Il se retourna pour croiser le regard inquiet de son coéquipier. Qu'est-ce que tu fais ? Comment as-tu réussi à te mettre debout ?



Je vais bien, Jim.



Il était étonné de pouvoir lui parler si calmement, mais les mots venaient tous seuls.



J'ai l'impression d'avoir un casque sur la tête, ajouta-t-il avec un geste vers son cuir chevelu. Il réprima difficilement une grimace. Le mouvement avait réveillé une douleur incongrue qui faillit lui couper le souffle.



Du calme, Géronimo. Dans ton état, je te vois mal faire joujou avec ton scalp.



Mais ça me gratte trop ! protesta le jeune homme.



Jésus, Sandburg ! Tu as frôlé la mort et tout ce qui te préoccupe, à ton réveil, ce sont tes cheveux ?



Non, je crois aussi que j'ai faim, mais ça peut attendre.



Jim, appuyé sur la chambranle de la porte, secoua la tête.



Très bien, Hairboy, on va s'occuper de ta mise en plis. Mais après, tu me promets de retourner au lit.



Hola, big guy, qu'est-ce que tu as en tête ?



Tu n'es pas au courant ? Les Ellison sont réputés pour les coupes de cheveux.



Blair loucha suspicieusement sur la coupe militaire de son partenaire.



Pas question. Je sais que depuis que tu me connais, tu rêves de me tondre, mais je ne te laisserai pas faire, même à…



Sa Sentinelle l'interrompit d'un geste.



Je n'ai jamais dit que je voulais te raser la tête, Samson. Maintenant, prends ton bain. Je vais aller chercher de quoi te rassasier. Tu… es sûr que ça ira ? demanda plus sérieusement son coéquipier. Blair hocha la tête avec un sourire.



Tant que je n'essaie pas de faire le 100 m dos crawlé, ça ira.



Dans cette baignoire ?



Et ils éclatèrent tous les deux de rire. Mon Dieu, que ça faisait du bien. Depuis combien de temps n'avaient-ils pas ri comme ça ?



Une fois Jim parti, Sandburg se laissa délicieusement glisser dans l'eau bien chaude et poussa un soupir d'aise. Il avait l'impression de renaître. Mais il devait admettre que les taquineries qu'il venait d'échanger avec son colocataire y étaient aussi pour quelque chose. Samson ! Il ne manquait plus que ça ! Il sourit intérieurement. Jim avait toujours le don pour l'affubler des surnoms les plus incroyables.



Alors, elle est bonne ? le fit encore sursauter son partenaire. Il tenait un plateau qu'il déposa sur un petit tabouret, près de la baignoire. Blair remarqua qu'il y avait des couverts pour deux. Jim nota son regard et précisa :



Moi aussi, j'ai les crocs.



Et d'appuyer ses propos en mordant généreusement dans un beignet bien doré. Plus prudent, Blair préféra commencer par un bon jus d'orange.



Martha est une fée, commenta-t-il.



Yep, approuva Ellison ; Sandburg le considéra un instant. Quoi ?



Euh… ça ne te choque pas de prendre un repas dans une salle de bains, toi, le Monsieur-tout-doit-être-fait-dans-les-règles ?



Jim haussa les épaules.



Briser les règles, ça a du bon, parfois.



C'est bien ce que je me disais. J'ignorais que James Ellison avait un frère jumeau au Nevada.



Nouveau haussement d'épaules. Une fois le déjeuner terminé, Ellison rapporta le plateau. Blair en profita pour sortir de son bain. Au début, il voulut se débrouiller tout seul pour se laver les cheveux, mais il dut y renoncer. De retour, Jim lui demanda en balbutiant :



Est-ce… que je peux… le faire ?



Blair cilla. Son partenaire répéta la question en bafouillant deux fois plus. Le jeune homme, finalement, hocha la tête. Tandis que Blair s'asseyait le dos appuyé contre la baignoire, Jim alla farfouiller un instant dans une armoire pour trouver un shampooing. Martha semblait en avoir une sacrée collection, sans doute pour satisfaire les goûts de ses pensionnaires. Une fois son choix effectué, la Sentinelle revint vers son Guide qui ne l'avait pas quitté des yeux.



Les deux hommes se mirent à rougir tous les deux. Puis, les mains tremblantes, Jim s'attela à la tâche. Il mouilla d'abord les cheveux de son coéquipier. Il en profita pour retirer d'autres brindilles. Ses mâchoires se crispèrent et il fut à deux doigts de demander : Bon sang, Sandburg, quelle idée tu as eu d'aller te mettre dans ce trou à rat ? Pourquoi as-tu failli t'enterrer vivant, au lieu de venir me parler ? Mais ces questions, il les garda pour lui. L'heure de la "grande discussion" n'était pas venue. Pour l'instant, ils avaient besoin de rétablir le contact.



Blair laissa échapper un soupir d'aise comme son partenaire commençait lentement à masser son cuir chevelu. Jim devait reconnaître qu'il aimait s'occuper ainsi de son coéquipier. Et tant pis si cela faisait probablement partie de ce qui devait être entre une Sentinelle et son Guide. Pour une fois, il en était infiniment reconnaissant. Cela lui donnait une très bonne excuse pour pouvoir toucher Blair. Il se souvint de ce soir où Sandburg avait soigné sa blessure à son omoplate. Un des moments les plus sensuels de sa vie. Il se sentit de nouveau rougir et fut heureux que le jeune homme ait fermé les yeux. Mais il se laissa prendre au piège quand son regard s'égara sur sa gorge offerte. Il faillit zoner sur une veine qui palpitait à la base du coup de son coéquipier.



Eh ! Jim ?



Le grand policier revint à la réalité.



Tu allais zoner ou…



Je crois que oui, grand chef, confessa la Sentinelle. Désolé.



Non, ce n'est rien. Mais je commence à avoir un peu froid, assis par terre.



Ellison se précipita aussitôt pour récupérer la couverture.



Encore un shampooing et je pense que tu auras retrouvé ta belle crinière.



Blair lui lança un regard oblique que Jim ignora courageusement. Non, ce n'était pas un prétexte pour plonger encore ses mains dans ses boucles auburn… enfin… pas vraiment.



Quelques minutes plus tard, quand Martha Breen voulut frapper à la porte de la chambre, elle trouva le détective Ellison en train de coiffer son collègue plutôt récalcitrant.



Jim, je t'assure que je peux le faire tout seul. Allez, man, c'est pas drôle ! La dernière fois que quelqu'un m'a coiffé, c'était ma mère et j'avais cinq ans !



Comme Blair se débattait pour échapper au peigne téméraire de sa Sentinelle, cette dernière l'attrapa par la taille pour l'empêcher de bouger davantage.



Sandburg, reste où tu es !



Aucun des deux hommes n'avaient remarqué la présence de la brave femme qui opta pour une retraite stratégique, un large sourire éclairant son visage. Elle se doutait bien qu'il y avait quelque chose de spécial entre ces deux-là !



Jim, qu'est-ce que tu fabriques ? fit Sandburg en se tortillant pour essayer de voir dans le miroir (mais il aurait dû sauter en prime, car il ne voyait même pas le sommet de son crâne)



Rien, rien…



Je t'arrête tout de suite, man, tu ne me feras pas de tresses !



En fait, je pensais plutôt à des couettes…, lui répondit la Sentinelle d'un air absent.



Des… quoi ?



Inquiet et furieux, Blair arracha le peigne des mains de son collègue.



Qu'est-ce que tu fais ? grommela ce dernier.



Je mets un terme à ta carrière de coiffeur. Tu n'auras qu'à te venger sur le caniche de Martha, si tu veux faire des couettes à quelqu'un, Edouard.



Edouard ? répéta Ellison sans comprendre. Son Guide soupira et agita ses mains dans tous les sens, comme s'il coupait quelque chose.



Oui, Edouard… Edouard aux Mains d'Argent.



Devant le regard inexpressif d'Ellison, le jeune homme soupira :



Laisse tomber. J'ai encore du boulot pour étoffer ta culture cinématographique.



Oh, pas de gros mots avec moi. Je sais très bien qui c'est, ce type : il a des ciseaux à la place des mains.



C'est bien ma veine, il faut que ma Sentinelle soit en pleine crise de maternage, grommela Blair à demi-voix.



Je t'ai entendu, fit le grand policier en se levant du lit.



Eh ! où tu vas ? demanda le jeune homme, soudain inquiet d'avoir pu vexer son partenaire.



Prendre une douche.



Puis Jim sortit de la chambre et alla s'enfermer dans la salle de bains.



Il était vraiment bizarre, songea Blair. Il flirtait avec lui sans vraiment flirter. Impossible de savoir ce qu'il attendait au juste. La "grande discussion" qu'ils n'allaient pas manquer d'avoir ? OK, mais ça n'expliquait pas l'humeur de son coéquipier. Tantôt il le taquinait, plaisantait avec lui, avant de se refermer comme une huître. Et maintenant, il laissait son Guide tout seul… avec toute l'opportunité pour rêver d'un Jim sous la douche. Fantasmer, il n'y avait rien de mieux pour se sentir vivant… Enfin, si, il y avait mieux… beaucoup mieux.



Bon sang, mais qu'est-ce qui me prend d'être aussi… lubrique ?



Il faut te faire un dessin ? A cause de ta stupidité, on a failli perdre tout ça.



Tout ça quoi ? Et puis d'abord, qui êtes-vous ? Ma conscience ? Mon esprit-animal ? Ma libido ?



Il n'y a que toi qui puisses répondre à cette question. Je te donne un indice : R.



R ? Quoi R ? Ne me dites pas… Richard… Richard Burton ?



Bravo, coco, tu as mis le doigt dessus.



Monsieur R ! Mais qu'est-ce que vous faites dans ma tête ?



C'est toi qui m'y as mis. Je dois dire que j'y suis bien.



Sortez de là tout de suite !



Pas tant que je n'aurai pas le fin mot de cette histoire. Maintenant, tais-toi, voilà le doc. On est trop près du but pour finir dans un asile.



Monsieur Sandburg ? demanda le médecin de Old Bridge, en fixant avec étonnement le jeune homme devant lui qui gesticulait devant son miroir. Blair rougit jusqu'aux racines.



Juste un peu de gymnastique, expliqua ce dernier.



Vous voilà à peine ressuscité et vous faites déjà des cabrioles. Hum… ça ne m'étonne pas. J'ai pu avoir votre dossier à Cascade. Vous y avez fait des séjours fréquents à l'hôpital.



C'est le métier…, répondit Sandburg en haussant les épaules.



Je ne pensais pas qu'anthropologiste était un travail aussi dangereux.



Je suis flic, depuis plusieurs mois, rectifia Blair, qui grinça des dents intérieurement : il n'allait tout de même pas avoir droit au couplet habituel sur son brusque changement de carrière, ici, au Nevada. Mais il n'y coupa pas :



Tiens, plutôt bizarre de voir un scientifique devenir policier.



Vous oubliez les profilers, fit le jeune homme en ressortant sa réplique favorite.



Asseyez-vous que je vous examine. On peut dire que vous nous avez fait une sacrée peur. Les bains de minuit ne sont pas très indiqués dans notre région, à cette époque de l'année.



Oh, oh, il était encore tombé sur un gugusse à l'humour ellisonien. Pas de chance, décidément, songea Blair qui se laissa cependant docilement ausculter.



Vous me ferez le plaisir de rester quelques jours au lit et de vous épargner des efforts inutiles. Ne présumez pas de vos forces, ou votre corps pourrait vous rappeler à l'ordre. Je ne sais pas quelles sont vos habitudes, à Cascade, mais ici, il est inutile de s'agiter. Prenez la vie comme elle vient.



Excellent conseil, docteur, intervint la voix d'Ellison. Blair leva les yeux au ciel. Pitié, pas ces deux-là sur mon dos, ou je retombe dans le comas ! Et de se glisser sous sa couverture en attendant que le médecin et sa Sentinelle aient terminé de discourir sur sa santé. Sandburg avait l'impression de revivre sa varicelle. Sa mère était dans tous ses états et le couvait comme un poussin. En plus, il avait eu la mauvaise idée d'attraper cette maladie infantile à l'âge de… quatorze ans. Une fois le docteur parti, Jim s'approcha du lit et souleva la couverture.



Il va falloir que tu perdes cette habitude de jouer les autruches, grand chef.



Je te préviens, Ellison, je n'ai pas l'intention de rester cloué au lit, annonça son Guide en se mettant à genoux sur le matelas. Je vais devenir dingue, man !



OK, OK, fit son partenaire en levant les mains, on va trouver un compromis. D'abord, le canapé, et peut-être la balancelle sur la véranda, s'il ne fait pas trop froid.



Et Simon, qu'est-ce qu'il en pense ? demanda Blair en tentant une diversion.



Simon ? Je vais l'appeler tout à l'heure pour lui expliquer la situation. On va se prendre des jours de vacances.



J'ai déjà tiré sur cette corde et je doute qu'il apprécie que tu en fasses autant. En plus, il doit être furieux contre moi.



Il n'est pas le seul.



Le jeune homme réalisa trop tard qu'il venait d'entrer en terrain glissant. Il venait de tracer une avenue gigantesque vers la "grande discussion" qui lui pendait au nez.



Tu en as tout à fait le droit, balbutia-t-il.



Qui te dit que je parlais de moi ? rétorqua le grand détective. Non, c'est Megan, je lui avais dit que je l'aiderais à taper son rapport sur l'arrestation des trafiquants de chien. Et avec… toute cette histoire, je l'ai laissée en plan. Elle va t'en vouloir.



Sans parler de Lucy Murata, ajouta Blair qui se raccrochait à toutes les branches.



Nous y voilà, fit Jim avec un sourire sans joie, les mains sur les hanches. Lis sur les lèvres, grand chef : Il n'y a rien entre l'agent Murata et moi, comprendo ? Rien à part une sacrée bourde.



Sandburg adressa un regard interrogateur à son partenaire, lequel ne semblait pas prêt à en parler.



Tu continues à bouder, ou tu descends avec moi dans le salon ? Walter a allumé un bon feu de cheminée et – la Sentinelle s'interrompit un instant pour humer l'air – Martha est en train de nous préparer un bon café, ajouta-t-il avec un sourire.



Finalement, songea Blair, ça avait du bon de se faire dorloter par sa Sentinelle. Le jeune homme ferma les yeux et poussa un soupir d'aise. Ils étaient sur la véranda en une fin d'après-midi exceptionnellement douce. C'était la première fois en trois jours que Blair pouvait sortir. Il devait admettre qu'il avait failli devenir claustrophobe. Devoir resté enfermé, après avoir failli mourir dans un trou, ce n'était pas la meilleure thérapie. Heureusement qu'il y avait les bons côtés, comme… se blottir dans les bras de Jim à la moindre occasion. Il n'avait même pas à demander et à chaque fois, son partenaire l'accueillait… à bras ouverts. Cette pensée fit rire le jeune homme.



Qu'est-ce qu'il y a ? le fit frissonner une voix près de son oreille.



Rien, rien, juste un jeu de mots stupide.



Tu as froid ?



Combien de fois Jim avait-il pu poser cette question ces derniers jours ?



Non, m'sieur !



Son effronterie fut accueillie par un grognement.



OK, dis tout de suite que je t'agace avec mes questions.



C'est pas ça, madame l'infirmière, vous êtes tellement gentille avec moi… sauf quand vous faites les gros yeux.



Tu es impossible, grand chef, rétorqua Ellison, mais on devinait un sourire derrière ses paroles.



Eh ! pourquoi tu bouges ? protesta Sandburg comme son coéquipier faisait mine de se redresser.



J'ai le dos en compote. Tu es lourd, mine de rien.



C'est la faute de Martha, ses tartes sont trop bonnes, j'ai bien dû prendre deux kilos.



Comme ça, tu es en train de retrouver le poids que tu avais perdu ces dernières semaines.



Blair préféra ne faire aucun commentaire. Evidemment que Jim avait remarqué qu'il avait maigri. Jim voyait tout.



Martha semble oublier par moments que nous sommes ses seuls pensionnaires, préféra-t-il poursuivre.



Je crois qu'elle craque pour toi, répondit la Sentinelle.



Ah oui ? Je pensais que tu étais plutôt son type.



Non, non, elle m'a même avoué qu'elle te trouvait mignon.



Jim, arrête de plaisanter avec ça, c'est pas drôle. D'abord, je ne suis pas mignon…



Non, tu es magnifique, lui parvinrent les mots étouffés de son coéquipier qui avait enfoui son visage dans ses cheveux.



Blair sentit tout son sang se retirer de son visage.



Surtout dans cette lumière, ajouta Ellison.



Alors là, il ne s'y attendait pas du tout.



De toutes façons, Martha sait que ton cœur est déjà pris.



Oh ? ne trouva rien d'autre à dire un Sandburg tétanisé.



Et que ça risque de durer un sacré bout de temps. Quelque chose comme toute une vie, plus l'éternité.



Le jeune homme déglutit avec difficulté.



Je ne l'ai pas contredit, évidemment, poursuivit Jim dans son manège. C'est déjà courageux de sa part de l'admettre aussi facilement. En plus, je crois qu'elle a compris que son rival était fermement décidé à garder sa place dans ton cœur.



Blair ferma les yeux. Tout d'un coup, il était très conscient du bras de Jim autour de sa taille, de son corps pressé contre celui de sa Sentinelle, de la chaleur qu'ils partageaient sur la balancelle et des lèvres de Jim tout près de son oreille.



Tu as froid ? demanda encore Ellison. Pourquoi tu trembles ?



Tu plaisantes, ou quoi ? faillit rétorquer le jeune homme. Tu es en train de me torturer à petit feu et… j'adore ça. Au lieu de quoi, il resta silencieux.



Blair…



Nouveau frisson. Irrépressible et délicieux.



Tout à l'heure, après le dîner, il faudra qu'on parle, tous les deux.



Alors le moment était venu.



Et tu crois que je vais pouvoir avaler quoi que ce soit ?



D'accord, parvint à souffler Sandburg. Cette fois-ci, il grelotta quand Jim se leva de la balancelle. Et il se dépêcha de le suivre à l'intérieur.



Chapitre 5





Quand il revint de la salle de bains, Jim trouva Blair allongé sur le lit (un lit qu'ils partageaient tous les deux depuis trois jours en toute chasteté, mais il était bien décidé à ce que ça change ce soir). Le jeune homme portait un bas de pyjama et un t-shirt. Le menton appuyé sur ses doigts croisés, les jambes battant distraitement l'air, il… fredonnait. Le grand détective ne put réprimer un sourire.



Qu'est-ce que tu chantes, grand chef ? demanda-t-il une fois près du lit.



La chanson de Bon Jovi qu'on a entendue tout à l'heure.



Mmm ? se contenta de répondre Ellison.



Tu sais, In These Arms. Ça faisait des années que je ne l'avais pas entendue.



Et Blair commença à chantonner. Jim l'écouta distraitement, tandis qu'il s'asseyait au bord du lit. Son Guide ne s'arrêta même pas de chanter, tandis qu'il écartait les cheveux de sa nuque.



Baby I want you

like the roses want the rain

you know I need you

like a poet needs the pain

and I would give anything

my blood, my love, my life

If you were in these arms tonight





C'est une proposition ? demanda la Sentinelle avec un sourire. Comme Blair faisait mine de se redresser, Jim l'en empêcha.



Je t'ai regardé, tout à l'heure, pendant que tu jouais aux dames avec Walter. Tu as encore mal à ton épaule ?



C'est plus fort que moi. Quand une partie est… aussi intense, je commence à me crisper, parvint à répondre le jeune homme en gardant sa voix parfaitement neutre, alors qu'il sentait les doigts de son partenaire masser doucement ses muscles tendus. Sandburg resta silencieux quelques minutes, avant de dire :



Ne va pas croire que j'ai accepté cette partie avec Walter uniquement pour… échapper à notre conversation.



Loin de moi cette pensée, Machiavel.



Tu ne me crois pas ? rétorqua Blair d'un ton choqué. Et il essaya de nouveau de se redresser, mais Jim le maintint fermement couché.



Ne bouge pas. Je n'ai pas terminé.



Et il poursuivit son massage. Au bout d'une dizaine de minutes, il demanda d'une voix rauque :



Alors ?



Tu es meilleur masseur que coiffeur, fut le verdict de Sandburg, qui souriait, les yeux clos.



Bon… Tu as tout à fait le droit de ne pas me faciliter la tâche. Aussi, pour une fois, c'est moi qui vais parler en premier.



Ellison prit une grande inspiration.



J'ai couché avec Lucy Murata, lâcha-t-il d'une traite (Blair se garda bien de dire quoi que ce soit, il se contenta de se mordre la lèvre inférieure). J'ai couché avec elle, répéta le grand détective, et ça a été la plus belle erreur de ma vie. J'ai fait ça uniquement pour me prouver… pour me prouver… que je n'étais pas… gay.



Ah ?



Aide-moi un peu, Sandburg, ça n'a rien d'évident, râla la Sentinelle.



Désolé, mais je ne suis pas vraiment en position de jouer les psy de service. C'est moi qui suis allongé, je te rappelle.



Très drôle, Sigmund.



Un silence.



Je ne suis pas gay, Blair.



Le jeune homme sentit quelque chose se crisper en lui.



D'accord, tu n'es pas gay, alors, explique-moi pourquoi tu n'arrêtes pas de me prendre dans tes bras ?



Parce que je ne suis pas attiré par les autres hommes. Juste… par toi.



Heureusement qu'il était couché et que Jim ne pouvait pas voir son visage. Il devait être l'étonnement personnifié.



Je l'ai réalisé quand j'ai embrassé Lucy. Ce n'était pas… pareil qu'avec toi. Il n'y avait pas… Il n'y avait rien. Mais je suis tellement borné que j'ai refusé de l'admettre sur le moment. Je me suis servi d'elle. Je lui ai fait l'amour sans rien ressentir pour elle. Et elle l'a compris… Je l'ai blessée. Au moins autant que j'ai pu te blesser toi. Elle ne me le pardonnera sans doute jamais.



Je ne vais pas pleurer sur son sort, laissa échapper malgré lui Sandburg dans un grommellement.



Quoi ? s'exclama Ellison qui avait presque sursauté.



Je l'ai détestée dès que je l'ai vue. Elle avait une idée derrière la tête, je l'ai parfaitement saisi. Je me suis douté tout de suite qu'elle et toi, vous alliez… Enfin, bref, j'étais jaloux et je suis parti. Je n'ai même pas pensé que je te laissais tomber parce que j'étais incapable de régler mes problèmes. Je ne supportais pas l'idée de te savoir avec elle pendant trois jours, en sachant parfaitement ce que vous feriez. Et puis, je me suis dit que tu détesterais trouver le loft vide à ton retour. Je voulais te faire mal, Jim.



Il avait dit ça d'une traite.



Et c'est pour ça aussi que j'ai voulu mourir. Quand je me suis rendu compte de ce que j'avais fait de notre amitié, sans parler du fiasco avec Jason…



Jason ?



Le fils de Walter. Je n'ai rien trouvé de mieux que d'aller mettre les pieds dans le plat, comme je sais si bien le faire, et j'ai tout foutu en l'air, évidemment. Moi et ma manie de me mêler de la vie des autres…



C'est ce que tu fais le mieux…, murmura Ellison.



Quoi ?



Si tu ne t'étais pas mêlé de ma vie, je serais sans doute devenu fou, grand chef.



Tu ne me dois rien, Jim, rétorqua Sandburg. Tu n'as même pas à être ici.



Je ne me cherche pas d'excuse. J'ai envie d'être ici. Je dirais même que je suis devenu complètement accro à un certain Blair Sandburg. Je ne pourrai jamais plus m'endormir sans le tenir dans mes bras, ni me réveiller sans être chatouillé par ses cheveux. Je pourrais encore moins me passer de sa délicieuse habitude de venir se blottir contre moi pendant qu'il dort. Je ne pourrais pas plus vivre sans ses yeux perpétuellement en train de me scruter, quand il est persuadé que je ne le vois pas. Impossible de passer une journée sans l'entendre rire, aussi.



Jim…



Alors, votre diagnostic, docteur ? Si vous voulez mon avis, votre patient James Ellison est amoureux de son Guide, de son partenaire, de son colocataire et meilleur ami. Irrémédiablement amoureux. Et si ça fait partie de cette histoire de Sentinelle, eh bien, il l'accepte. Tu pourras le dire à ton Monsieur R.



Cette fois-ci, Blair se redressa d'un bond.



Tu as lu mon journal ?



Son coéquipier le regarda avant de hocher la tête.



Les dernières entrées. Et je te demande pardon.



Je devrais être furieux. C'est un journal intime, Ellison. I-N-T-I-M-E. Est-ce que ça a une signification pour toi ?



Oui… Que tu en as été réduit à te confier à une machine, parce que tu ne pouvais plus me parler. Et pour ça aussi, je te demande pardon.



Le jeune homme resta silencieux un long moment. Parfaitement immobile. Parfaitement inquiétant. Puis une expression surprise se peignit sur ses traits.



Je n'arrive vraiment pas à être en colère contre toi. Je devrais.



Tu devrais, confirma Jim.



Comme tu aurais dû me faire la morale après mon petit exploit, lui renvoya Sandburg.



Oui. Ça signifie peut-être qu'on est quitte.



Oh, non, ne crois pas t'en tirer comme ça, fit le jeune homme en agitant un doigt accusateur sous le nez de sa Sentinelle. Et d'abord, comment tu as trouvé le mot de passe ?



Tu utilises toujours le même.



Bon sang, pourquoi a-t-il fallu que je tombe amoureux d'un flic ?



Un large sourire éclaira les traits d'Ellison. Il se leva du lit et se rapprocha de son partenaire. Au début, ce dernier commença par reculer, jusqu'à ce qu'il heurte le mur. L'expression de Jim changea aussitôt et Blair en frémit de la tête aux pieds.



Est-ce que tu sais depuis combien de temps j'ai envie de faire ça ?



Sandburg écarquilla les yeux et joua les innocents.



Ça quoi ?



Et il eut sa réponse. Jim s'empara de ses lèvres en le plaquant contre le mur un peu rudement. Blair aurait bien protesté qu'il était encore convalescent, mais à la vérité… il s'en fichait. Il s'agrippa à Ellison, nouant fougueusement ses bras autour du cou de ce dernier.



Je veux bien mourir…, songea-t-il.



Pas question ! protesta aussitôt Monsieur R. Pas quand ça devient aussi intéressant.



Mmmmm, laissa échapper le jeune homme. Jim le libéra aussitôt, caressant son visage.



Je t'ai fait mal ?



Non, absolument pas, répondit Sandburg, le souffle court. Si jamais je m'y habitue un jour, je préfère te le dire tout de suite : tu embrasses divinement bien.



Le grand détective rougit jusqu'aux oreilles et baissa les yeux.



Hé ! Jim, c'était un compliment !



Je sais, répondit son partenaire dans un murmure. La vérité c'est que… avec toi… je peux me laisser aller.



Blair écarquilla les yeux.



Te laisser aller ? répéta-t-il.



Avec mes sens. Je n'ai pas à m'inquiéter de zoner au pire moment.



Oh…



Un large sourire étira les lèvres du jeune homme. Il commença à déboutonner la chemise de sa Sentinelle, l'air de rien.



Qu'est-ce que tu fais ? réagit aussitôt Ellison.



Je procède à quelques… ajustements. Tu n'avais pas l'intention de dormir tout habillé, de toutes façons.



Jim captura les mains de son Guide.



Doucement, Roméo. Tu vas trop vite pour moi.



Sandburg se figea immédiatement.



Désolé, s'excusa-t-il.



De te montrer aussi enthousiaste ? répondit Ellison avec du rire dans la voix. Pas question. C'est juste que… C'est nouveau pour toi et moi.



Je veux juste te toucher, plaida le jeune homme.



Pas question.



Quoi ? sursauta Sandburg.



C'est mon tour, tu te rappelles ?



Cette fois-ci, ce fut Blair qui rougit. Jim se garda bien de lui dire qu'ils étaient déjà quitte après qu'il eut lavé son Guide inconscient. Justement inconscient ! Ça faisait toute la différence, une différence dont il avait bien l'intention de profiter. Depuis des jours qu'il serrait ce jeune corps contre le sien, il avait eu toute l'opportunité pour rêver qu'il en explorait les moindres parcelles. La honte qu'il avait ressentie une éternité plus tôt, quand son Guide lui avait avoué ses sentiments ? Disparue ! Toutes les histoires de bigots derrière lesquelles il s'était réfugié comme un lâche ? Aux oubliettes ! Oh, il avait encore des craintes, et des questions. Mais elles ne faisaient pas le poids face à ce qu'il ressentait : une joie animale, possessive… de savoir que Blair était vivant et qu'ils allaient enfin tout partager.



Le jeune homme alla s'asseoir sur le lit, le dos tourné à son coéquipier. Mais Jim le prit doucement par les épaules et l'obligea à s'allonger.



Je veux voir ton visage, murmura-t-il d'une voix rauque. Puis il ordonna : enlève ton t-shirt.



Blair se tortilla et s'exécuta avec l'aide de sa Sentinelle. Quand Sandburg se retrouva torse nu, Ellison marqua un temps d'hésitation. Il ferma quelques secondes les yeux.



Eh ? ça va ? s'inquiéta son Guide en le voyant crisper les mâchoires. Mais Jim sourit et ses paupières s'ouvrirent sur un regard rendu sombre par le désir.



T'ai-je déjà dit que tu étais magnifique ?



Blair se contenta de hocher la tête. Le sourire de Jim s'élargit.



Et tu es à moi, ajouta-t-il en posant sa main sur le cœur battant de son partenaire. Celui-ci ferma les yeux. Ce contact sur sa peau nu était brûlant. Il dut se forcer à respirer profondément, mais manqua de s'étrangler quand la main de sa Sentinelle commença son lancinant voyage. Pour ne pas s'abandonner totalement aux sensations qui le submergeaient, Blair essaya de se concentrer sur… les boutons de la chemise de Jim. Ce dernier fit comme s'il n'avait pas remarqué son manège, mais une fois que tous les boutons furent défaits, il se débarrassa de son vêtement. Pendant ce temps, sa main avait migré de la poitrine de Blair jusqu'à son bas-ventre. N'ayant plus rien pour occuper son esprit, le jeune homme ferma les yeux et crut qu'il allait mourir de plaisir sur l'heure, quand Jim s'allongea contre lui.



Regarde-moi, ordonna la Sentinelle. Et il se força à ouvrir les yeux pour rencontrer l'océan d'azur qui le contemplait. Jim l'embrassa de nouveau, en prenant tout son temps pour explorer sa bouche offerte. Puis il commença à égrener des baisers sur son visage, sur sa gorge, avant de gagner sa poitrine. Blair laissa échapper un cri étouffé quand il sentit les lèvres de sa Sentinelle se poser délicatement sur un de ses mamelons durcis. Puis, avant qu'il ait eu le temps de reprendre ses esprits, son partenaire s'abreuvait ses soupirs dans un nouveau baiser. Le jeune homme étreignit son amant avec une telle force, que ce dernier laissa échapper un rire.



Tu as peur que je ne m'évanouisse dans les airs ?



Je dois être en train de rêver.



Oh, non… Terminés, les rêves. Place à la réalité.



Qu'est-ce que tu…? hoqueta Sandburg en sentant une main faire lentement descendre son pyjama.



Trop de vêtements, maugréa la Sentinelle.



Parfaitement d'accord, lui répondit son Guide qui s'attaqua à la boucle de ceinture de son coéquipier. Ses doigts tremblaient tellement qu'il pensait ne jamais y arriver.



Plus vite, Sandburg, grommela Ellison contre son oreille. Je te veux…



Blair lutta contre le soudain vent de panique qui le traversa. Il ne s'était jamais senti aussi vulnérable dans les bras de quelqu'un.



Chhhtt… Du calme, grand chef.



Evidemment, Jim avait compris. Il prit le visage du jeune homme entre ses mains.



On ne brûlera pas les étapes, OK ?



Sandburg sentit les larmes lui monter aux yeux. Il en avait eu tellement envie et maintenant, il gâchait tout.



Tu ne gâches rien du tout, lui jura son partenaire. Blair laissa échapper un rire nerveux.



C'est à croire que tu lis dans les pensées…



Il me suffit de lire dans ton corps.



Je voudrais bien lire aussi bien dans le tien, confessa le jeune homme.



Fais-le.



Quoi ?



Avant qu'il ait compris ce qui se passait, Jim les fit basculer tous les deux pour se retrouver allongé sur le dos. Les cheveux de Blair glissèrent sur sa poitrine. Ce dernier n'en revenait pas. Jim lui laissait le contrôle ?



Vas-y… Lis…



Une proposition pareille ne se refusait pas ! Sandburg put de nouveau parcourir le corps de sa Sentinelle, chaque parcelle. C'était mieux, beaucoup mieux que la première fois. Et rien à voir avec tous les rêves qu'il avait pu faire en imaginant cet instant. Il caressa la poitrine de Jim, à la fois si semblable et si différente de la sienne. Finalement, ce n'était pas si bizarre : il n'y avait pas les rondeurs féminines, mais il y avait tellement de choses à explorer. Comme… découvrir le satiné de la peau de Jim à l'intérieur de ses bras, alors qu'il était complètement allongé sur la poitrine qui se soulevait sous lui. Ah… Et est-ce que c'était pareil entre ses cuisses ? Le jean's était encore là pour lui faire obstacle. Mais cette fois-ci, il s'en débarrassa sans hésitation. Il entendit le rire de sa Sentinelle, devant son expression concentrée. Puis le rire se changea en gémissement, quand Blair reprit son exploration. Hmmm… Il adorait les petits bruits que laissait échapper Jim, tandis qu'il le caressait près, de plus en plus près d'un endroit qui l'intriguait entre tous. La clef de l'énigme, ce qui finalement, leur avait fait peur à tous les deux. L'intimité absolue ! se dit le jeune homme en se mordant la lèvre inférieure, tandis qu'il s'attaquait au caleçon de son amant. Et puis, avec une Sentinelle, on était récompensé au moindre contact. Quand il remonta lentement vers les yeux qui ne l'avaient pas quitté un instant, il pressa son propre désir contre celui de son partenaire qui sursauta.



Cette partie du chapitre me plaît aussi, fit-il en embrassant Jim. Ce dernier enfouit ses mains dans ses cheveux et le retint prisonnier dans une longue étreinte, tandis que Blair fit une tentative maladroite à laquelle sa Sentinelle répondit immédiatement. Et à l'unisson, leurs corps se mirent à onduler doucement. Le jeune homme se sentit délicieusement perdu dans un flot de sensations extatiques, jusqu'à ce que...



Il ferma les yeux quand la vague de plaisir qui les portait tous les deux atteignit son paroxysme. Il sentit le corps de Jim se cambrer sous lui et eut l'impression de chevaucher quelque chose d'irrésistible, qui s'empara de lui peu après.



Il leur fallut de longues minutes pour reprendre leur souffle. Jim n'avait pas lâché les cheveux de Blair qu'il serrait dans ses poings tremblants.



Mon Dieu…, laissa échapper la Sentinelle. Puis, après un silence et avec une ferveur qui toucha son Guide au plus profond de son âme : Je t'aime.



Blair cilla en sentant les larmes lui piquer les yeux. Il se blottit contre Jim qui le serra dans ses bras de toutes ses forces. Et d'une voix étouffée, il répondit :



Je t'aime aussi.



***



Jim fut le premier à se réveiller. Il se mit sur son séant et prit tout son temps pour admirer le jeune homme étendu contre lui. Leur nuit avait été ponctuée de nouvelles caresses, de nouvelles surprises, tandis qu'ils s'offraient davantage l'un à l'autre. Ellison se dit qu'il n'aurait jamais assez de toute une vie pour tout connaître de son amant. Un sourire étira ses lèvres quand il pensa que c'était tant mieux. Il hésita, se demanda s'il n'allait pas se rallonger et attendre que Blair se réveille, puis il pensa que ce serait aussi amusant de prendre le petit déjeuner au lit ensemble.



Blair s'étira avec délice et ouvrit les yeux, quand une savoureuse odeur de café vint caresser ses narines.



Allez, la Belle aux Bois Dormant, debout !



Sandburg laissa échapper un rire quand il se mit sur son séant.



Mais c'est gargantuesque ! s'exclama-t-il à l'adresse de son partenaire qui attaquait sa deuxième tartine.



On doit reprendre des forces. Moi, surtout, si je veux tenir le rythme…, ajouta Jim entre deux bouchées. Et puis, Martha en a encore fait pour un régiment. Ça serait dommage de gâcher toute cette nourriture… M'est d'avis… qu'elle a dû nous entendre, hier soir.



Blair rougit jusqu'aux oreilles.



Comment tu le sais ?



Dans la cuisine, elle n'arrêtait pas de me regarder avec un large sourire et hochait la tête d'un air entendu en me regardant remplir le plateau. Ah… et puis… Walter m'a donné ça pour toi.



Jim se pencha et récupéra le livre de Burton. Le jeune homme écarquilla les yeux.



Il l'a séché page par page, expliqua la Sentinelle.



Cet homme est un saint ! s'extasia Sandburg qui ouvrit le livre avec précaution et le feuilleta tout aussi prudemment. Comme il allait le reposer, on entendit un bruit de moteur.



Le docteur devait revenir ? demanda Blair avec une absence flagrante d'enthousiasme.



Non, pas que je sache. Et ce n'est pas le bruit de sa voiture.



Jim, retrouvant ses réflexes de flic, se leva pour aller voir à la fenêtre. Il vit une berline grise s'arrêter devant chez les Breen. Un homme d'une trentaine d'années, tiré à quatre épingles, en sortit. Martha Breen vint à sa rencontre. Ils échangèrent quelques mots. Ellison se concentra aussitôt pour savoir ce qu'ils se disaient.



Je souhaiterais voir Walter Breen.



C'est de la part de qui ?



L'homme marqua une hésitation.



Son fils… Jason.



La brave femme porta aussitôt sa main à sa bouche, pour étouffer un cri. Puis elle poussa littéralement le nouveau venu à l'intérieur.



On a de la visite, fit Jim en se retournant vers son partenaire.



Qui ?



Tu ne devineras jamais, répondit laconiquement la Sentinelle.



Quelques minutes plus tard, ils étaient tous dans le salon. Walter et Jason, légèrement à part, discutaient à voix basse. Martha, elle, ne cessait de dire :



Je n'arrive pas à y croire… Je n'arrive pas à y croire.



Blair et Jim lui souriaient. Mais Sandburg était un peu inquiet. Il aurait voulu demander à son partenaire de lui dire ce que le père et le fils se racontaient, mais visiblement, Ellison ne les écoutait pas.



Tout à fait lui, ça, avec son sens de l'honneur.



Le jeune homme ne parvenait pas à démêler ses sentiments. Durant ces derniers jours, il s'était senti comme dans une vraie famille, ici. Walter Breen l'avait traité comme aurait pu le faire un père. Il avait maintenant l'impression d'avoir perdu quelque chose.



Je suis un égoïste, songea-t-il finalement en secouant la tête. Et son regard se porta immédiatement sur sa Sentinelle. Il avait obtenu tellement !



Finalement, Walter et Jason les rejoignirent. Et Breen Senior annonça.



Jason va rester quelque temps avec nous.



Cette annonce fut accueillie par des poignées de main, des félicitations, et une soudaine effusion : Martha serra son neveu contre elle et commença à pleurer sur sa cravate.



Comment avez-vous trouvé cette adresse ? s'étonna finalement Sandburg.



Je suis allé voir votre capitaine, Simon Banks, parce que je vous cherchais, répondit Jason Breen. Je lui ai raconté toute l'histoire. Je vous dois des excuses, M. Sandburg…



Appelez-moi Blair, l'interrompit ce dernier.



Blair, répéta Breen Jr avec un sourire. J'ai été injuste avec vous. Mais vous m'avez fait réfléchir. Et… je suis là.



C'est une bonne chose, fit le jeune homme.



Au fait, j'ai un message pour vous de la part de votre capitaine, reprit Jason en s'adressant aux deux complices. Il vous donne jusqu'à la fin de la semaine pour régler vos affaires et rentrer à Cascade. Sinon, il viendra vous chercher lui-même et s'occupera de vous remettre les idées en place en vous ramenant chez vous à coups de pied aux fesses. Ce sont ses termes, précisa Breen Jr.



Jusqu'à la fin de la semaine, fit Jim. Ça me convient tout à fait. Et toi, grand chef ?



Oui, ça nous laissera largement le temps, répondit ce dernier avec un large sourire.



Bon, bon, bon, les interrompit Martha, ce n'est pas tout ça, mais j'ai des tartes à faire…



Jim et Blair se regardèrent et éclatèrent de dire. Les Breen furent incapables de comprendre ce qui les mettait ainsi de si bonne humeur. Puis les deux hommes sortirent sur la véranda et allèrent s'installer sur la balancelle. Dès que Blair se fut assis, les bras de sa Sentinelle vinrent naturellement se nouer autour de lui. Sandburg se laissa aller contre son amant et soupira :



On peut dire que c'est une happy end.



On l'a bien mérité, non ? réagit Ellison en sentant quelques regrets derrière ces mots.



Oh que oui ! ça ne pouvait pas mieux finir, approuva le jeune homme.



Mais…?



Je crois que je suis un peu jaloux… C'est idiot, je sais…



Non, je comprends, c'est à cause de Jason et Walter. Tu penses à ton père.



Oui, avoua Sandburg. Je me demande qui il est, à quoi il ressemble, s'il sait qu'il a un fils… Enfin, tu vois… Je suis un éternel insatisfait.



Mais j'espère bien…



Quoi ?



Oui, parce que moi aussi… J'ai quelques envies à assouvir, répondit Jim en enfouissant son visage dans les cheveux de Blair et en respirant profondément. Son Guide laissa échapper un rire. Jim prit un air faussement offensé :



Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?



J'adore quand tu fais ça. J'ai l'impression… que tu veux t'imprégner de moi.



Je te l'ai dit, je suis accroc à Blair Sandburg. Et après la nuit dernière, mon cas s'est encore aggravé.



Oh, oui, la nuit dernière… Excellent début, tu ne crois pas, pour des débutants ?



Le meilleur est encore à venir, jugea Ellison.



Le meilleur, rectifia Blair, c'est que nous allons apprendre tous les deux.



Le jeune homme se retourna pour faire face à son amant et prit son visage entre ses mains.



Merci, murmura-t-il. Jim le regarda d'un air interloqué.



Merci ? fit-il.



Oui, merci… de m'avoir fait une place dans tes bras.



Et leurs lèvres se joignirent.





Fin.