Auteur : Loli

Genre : yaoi, historique

Statut : OS

Disclaimer : fic originale

Rating : M

18 août 1943


Les deux hommes n'avaient pas discuté longtemps. D'accord ? D'accord. L'hôtel ? L'hôtel. Pas de nom, pas de questions ? Pas de nom, pas de questions. Le reste se passait entre quatre murs et une paire de drap. Des draps vieux, défraichis mais propres. Les vêtements par terre, les chaussures sous le lit, les manteaux qui gouttent sur une chaise défoncée. Et les deux hommes enchaînés dans leur dangereuse étreinte. En ces temps où aimer certaines personnes peut coûter la vie, qu'il est bon de se perde un peu dans une nuit de plaisirs interdits.

Aimer un homme, c'était mourir, aimer un étranger, c'était mourir, aimer une femme d'une autre religion, c'était mourir. Ils aimaient tous deux les hommes et ni l'un ni l'autre n'aimaient voir un décret ou une loi leur dire avec qui ils avaient le droit de baiser.

Le plus jeune, le plus grand aussi, a des yeux gris, tourmentés, inquisiteurs. Des yeux qui vous dévorent au plus profond de vous. Il se penche sur l'autre homme, l'embrasse dans le cou, le mord, le serre entre ses bras. Il est plus grand mais aussi plus fort, sa peau se tend sous ses muscles fins, délicatement dessinés par les ombres de la nuit.

« Tu veux que je te baises ?

- Baise-moi. »

L'autre ordonne. Son allure hautaine et gracile ne trompe pas, c'est un homme de pouvoir. Mais derrière une arrogante mèche blonde qui lui barre le front, un regard bleu et lumineux éclaire le visage marqué par les ans. Un regard brillant d'intelligence.

Le plus jeune l'a vu mais pourquoi s'en soucier ? Qu'importe l'intelligence quand on ne demande qu'un peu d'amour.

L'étreinte, rapide, pressée, cachée, l'étreinte clandestine.

Il repousse cette mèche blonde et murmure.

« C'est bon, je peux y aller ? »

L'autre acquiesce, il se retourne, agrippe le montant du lit en fer et serre les dents. Un grognement de douleur mais le jeune homme est plus habile qu'il ne le pensait, pas de fougue mal intentionnée, pas d'exubérance violente. C'est bon.. si bon... l'homme à la mèche gémit sans retenue, sans pudeur. Il tend un bras, lui attrape la taille, le tire vers lui.

« Plus fort. »

Et il ordonne.

Dans son dos, le jeune homme se penche, lui prend le sexe à la main, le caresse, le repousse contre le mur plus fermement. Il s'enfonce en lui, sans forcer, sans hâte ni brutalité. Il savoure tout autant que son amant. Il prend son temps.

« Dépêche-toi. »

Un fugace sourire l'empêche de soupirer, pressé, il s'y attendait mais cela le déçut tout de même.

« Dépêche-toi... continue l'autre homme, j'ai envie de toi. »

Il va et vient doucement dans le corps de l'autre homme. Et puis s'enflamme, attisé par les gémissements de plaisirs qui emplissent la chambre, par les griffure qu'il sent contre ses cuisses, l'autre homme le presse, bascule son bassin pour l'encourager à aller plus vite. Même ses violents coups de hanche ne semblent pas assez pour l'autre. Ils se perdent petit à petit, l'un avec l'autre, dans les volutes de plaisir, oublieux de la guerre, oublieux des persécutions, oublieux de leur travail. Pourtant ils ne baisent pas pour oublier qu'ils sont malheureux, mais pour se convaincre qu'ils ont encore le droit à un peu de bonheur.


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Volker enfila son costume gris avec un certain amusement. Depuis près de cinq ans, il n'était pas sorti de chez lui pour aller travailler autrement qu'en uniforme alors même qu'il était tout sauf un militaire. Pire, il haïssait les militaires. En revanche, il aimait son pays. Malgré tout ce qui s'y passait, il ne voulait pas le voir tomber, il ne voulait plus revoir la haine dans les yeux de ses parents. La même haine qu'ils avaient ressenti quelques dizaines d'années auparavant, et qu'ils avaient soigneusement entretenue jusqu'à la guerre. Un français avait dit un jour que la guerre était une chose trop sérieuses pour la confier à des militaires, Volker était arrivé à la même conclusion quand son père était rentré du front avec une jambe et en œil en moins.

Il avait alors su qu'il ferait la prochaine guerre. Mais qu'il ne laisserait jamais les militaires la faire. Il avait tenu parole, et il avait compris pourquoi on laissait les militaires la faire. Parce que c'est terrible la guerre, c'est moche et terrible. C'est ce qu'il faisait chaque jour.

Volker boutonna sa veste et passa un imperméable. Il allait sûrement pleuvoir. Encore un été pourri.

Un sourire désabusé lui barra le visage. Qu'est-ce qu'il pourrait bien faire de plus maintenant. Il avait son flingue, mais ça, c'était vraiment la dernière extrémité. Lui qui n'avait jamais tué de ses propres mains, il réalisait qu'il n'avait plus vraiment le choix. Il détestait d'avoir cette arme sous la main.

Naturellement, il savait ce qu'on voulait de lui, il travaillait sur les dernières technologies d'armement, des fusées qui décideraient qui allait gagner la guerre. C'est pourquoi on lui avait mis une arme entre les mains un beau jour.

L'arme à feu, une solution simple, radicale, définitive. Mais justement, une fois que c'est fait, on ne revient pas en arrière. Il rangea le pistolet dans son holster. Luger Parabellum P08. Lui qui n'avait jamais tiré que sur des cibles en carton à son entraînement militaire et qui avait toujours trouvé cette arme de service inutile. Comme ce grade idiot. Il contempla sa veste d'uniforme pendue à la poignée de son bureau. Parce qu'il était un scientifique brillant et un patriote dévoué, il était officier. Le comble de l'absurdité.

Le coup de téléphone tant attendu retentit. Déchirant le silence tout relatif de la nuit. Quel silence ? Il y avait toujours le bruit des machines qui fonctionnaient nuit et jour, le bruit sourd et grondants des moteurs qui ne cessaient jamais de tourner.

« Oui ?

- Weissmüller ?

- C'est bien moi.

- Dans une heure au dock 153. »

Déformée par le téléphone, brouillée par des parasites, la voix devait être grave et bien timbrée. Georg se retint de mettre un visage sur cette voix, il serait bientôt fixé de toute façon.

« Comment vous reconnaitrai-je ?

- Je vous reconnaitrai, affirma l'homme au bout du fil d'un ton qui n'admettait pas de réplique. »

Un homme sûr de lui. Un maître chanteur professionnel. Il raccrocha immédiatement et la tonalité du téléphone sonnant dans le vide résonna encore quelques minutes dans le bureau de Volker.

« Qu'est-ce que je vais faire de vous, monsieur le maître chanteur ? Murmura le scientifique pour lui-même. Si vous venez, vous risquez de vous faire tuer et moi, si je vous obéis, je vais au devant de gros ennuis. L'idéal serait de pouvoir nous entendre. Ou de pouvoir vous faire renoncer. Comment fait-on renoncer un professionnel du chantage ? »

Il songea aux énormes silos qui se dressaient dans la base du centre de recherche de Peenemünde, et aux fusées, récompenses d'années de travail acharné. La seule solution pour sauver son pays, il en était convaincu. Alors oui, il fallait faire renoncer ce maître chanteur.


Georg enfila un blouson de cuir noir. Pas le moins voyant du lot, mais comme on annonçait de la pluie pour cette nuit, il voulait être au sec. D'habitude, son travail requérait des vêtements classiques, de qualité mais pas luxueux. Pour travailler, il devait présenter l'apparence banale et sécurisante d'un commercial, un pharmacien ou un employé de bureau.

Cette fois, c'était différent, il allait « travailler ».

Certains de ses vieux amis parlaient de « sale boulot », ce n'était pas son opinion. Il faisait son boulot, et s'il ne le faisait pas, personne ne viendrait le faire à sa place parce qu'il était le meilleur dans son domaine. On l'appelait le corrupteur. Ce n'était pas pour rien. Il pouvait tout obtenir, de n'importe qui, n'importe quand, quel que soit la valeur de l'information cherchée. Souvent, comme ce soir-là, il trouvait même un certain plaisir dans son travail.

En revanche, il n'avait qu'un employeur. Et il n'avait qu'une règle de déontologie. Confiance. Sa victime pouvait être sûre de son silence tant qu'elle obéissait. Que demander de plus ? Que demander de plus à un maître chanteur que le silence absolu ? Rien. Alors lui, qu'est-ce qu'il allait lui demander de plus ? Parce qu'il était comme ça, dur, son client du soir, dur à la tâche et habitué à souffrir. Il pouvait bien le menacer, sa victime aujourd'hui ne pouvait pas céder si facilement, elle allait lui mener la vie dure.

Volker Weissmüller lui pourrissait son perfect en missions impossibles à faire. Il faisait de sa déontologie un enfer.

Il avait saisi toute l'imperfectibilité et la faiblesse du chantage. L'immense faille dans le jeu de tout bon maître chanteur. Personne n'avait réussi à le prendre ainsi au dépourvu avant, personne n'avait mis le corrupteur au pied du mur comme ça. Pourquoi fallait-il que cela tombe aujourd'hui ?

Georg soupira. C'était vraiment le client qu'il n'avait pas envie de devoir menacer. Il lorgna sur sa montre. Deux heures moins quart, il devait y aller.

Lui avait son bon vieux Mauser. L'arme la plus discrète en Allemagne, chaque foyer avait son exemplaire, héritage d'un père ou d'un grand-père. N'importe qui pouvait s'en procurer un, n'importe où. Et surtout, ce n'était plus une arme réglementaire depuis longtemps, donc plus de numérotation.

Il arrêta sa moto derrière le hangar de matériel. Pas de surveillance ici, les locaux sont trop vieux, les rares qui ont survécu depuis 1873, depuis les premiers essais balistiques. Il devait retrouver son client quelques dizaines de mètres plus loin et ces quelques mètres lui parurent plus longs que tout le chemin déjà parcouru. Il sourit en remarquant qu'il se cherchait une excuse pour traîner encore plus. Il n'avait pas envie de le revoir. C'était ainsi, pour l'instant, leur nuit ensemble était probablement un bon souvenir, une chose qui devait le mettre de bonne humeur et lui devait encore être un beau gars, baisable et baisant avec qui il partageait une nuit.

Mais dès qu'il verrait son visage, il saurait qu'il n'était que son maître chanteur, son adversaire et la nuit, de toute façon, disparaîtrait de ses bons souvenirs pour ne laisser que la trace cuisante de l'humiliation. Il n'avait pas voulu ça.


Sa réaction l'agaça au plus haut point. Debout, dressé dans la nuit noire derrière un plot rempli de braises rougeoyantes, raide comme la justice, Volker garda les yeux baissés sur le sol avant de fixer son maître chanteur. Il eut l'air surpris d'abord, puis chagriné. Il dévisagea son maître chanteur avec un sourire contrit.

« Je me demandais...

- Oui ? Cracha presque Georg, frustré de ne pas susciter plus de surprise.

- Comment un banal espion pouvait avoir des preuves. Mais tu as un bon accent allemand, je m'y suis laissé prendre. Même si ta conversation n'était pas alors ce qui m'intéressait le plus.

- J'ai passé beaucoup de temps ici, expliqua l'espion avec un haussement d'épaule.

Volker hocha la tête. Oui, une telle aisance dans une langue ne s'acquérait pas par un apprentissage normal.

- Tu n'as pas peur de mourir.

C'était moins une question qu'une constatation. L'espion secoua la tête.

- Je sais beaucoup trop de choses pour mourir.

- Tous ceux que tu fais chanter seraient plutôt contents de te voir partir en silence.

- Ils pourraient... s'ils étaient sûr que j'emporte mes secrets dans la tombe.

Le scientifique se pencha en avant et alluma sa cigarette au plot qui brûlait toujours. Il inspira profondément puis exhala un nuage de fumée.

- C'est comme ça alors ?

- C'est mon travail.

- Ce n'est pas un beau travail. Tu en tires une sorte de fierté professionnelle, je crois, non ?

- C'est vrai. Je suis un spécialiste et je n'ai jamais connu l'échec.

Les yeux terriblement bleus de sa victime vinrent chercher les siens.

- Pas encore.

- Je suis un excellent professionnel tu sais. Tant que tu feras ce que je te demandes, tu peux être assuré que rien ne filtrera. Mieux encore, toute personne qui aurait la tentation de révéler ce que tu veux cacher devra faire avec moi.

- Logique, tu protèges ton fond de commerce.

- Je serais ta meilleure garantie.

Volker observa son maître chanteur des pieds à la tête, il n'essaya même pas de faire semblant d'être intéressé, son adversaire méritait un peu mieux que ça. Et puis, comme s'ils savaient, l'un comme l'autre, que jouer au plus con n'amenerait pas bien loin, ils se sourirent.

- Et dire que vous les anglais avez la réputation d'être frigides.

- Ça aussi, j'ai appris. »

Georg se mordit l'intérieur de la joue. Comme prévu, c'était le plus dur : le convaincre qu'il n'avait pas d'autre choix. Normalement, quand un client réfractaire essayait de discuter, il lui filait une dérouillée qu'il n'oubliait pas. Et même s'il oubliait, il pouvait toujours recommencer quelques mois plus tard. Pas avec lui. Il avait bien plus envie de coucher avec lui que de le frapper, l'un n'empêchant pas l'autre, de toute façon.

Et puis l'allemand eut un petit sourire désabusé.

« Tu peux le dire.

- Hein ?

- À tout le monde, mes supérieurs, à Von Braun ou Dornberger, ça les fera bien rigoler.

Georg soupira... je le savais. Il prit le ton le plus arrogant qu'il pouvait.

- Tu es sûr de ne pas regretter ça ? Tu sais où tu vas finir si tout le monde l'apprend ?

Volker sourit à nouveau, plus narquois que jamais.

- Tu peux le dire quand même. Je verrais bien ce qui se passera. Wait and see, comme vous dites chez vous. »

Georg hésita, il attendit une seconde, une seule. Il savait que c'était déjà trop tard. Quand on hésite, c'est déjà qu'on n'est pas décidé à aller jusqu'au bout.

Volker le toisa. C'était bien ça. Un maître chanteur sans objet de chantage, ce n'est plus rien. Ce n'est qu'un type qui veut obtenir quelque chose et qui ne peut plus rien faire pour l'avoir.

« Tu peux t'en sortir.

- Hein ?

- Je ne te dénoncerai pas.

- Hey ! Georg s'approcha en deux enjambée et attrapa sa pseudo-victime par le col. C'est toi qui a quelque chose à te reprocher. Tu crois qu'ils te laisseront en paix quand tes mœurs douteuses seront connues de tous ? Il planta ses yeux dans ceux de Volker et continua, insistant sur chacun de ses mots. Tu n'es pas indispensable. Je le sais.

Volker fit un léger mouvement pour se dégager et son agresseur fit un bond en arrière.

- T'es armé ?

- Tu ne m'as pas trop laissé le choix.

- Pourquoi tu ne... ?

Le chercheur haussa les épaules.

- Je n'ai aucunement l'intention de te confier les secrets de fabrication de nos fusées, je ne vais pas non plus te laisser me pourrir la vie. Ça me semblait une bonne solution.

- Et maintenant...

- Et maintenant nous allons trouver un arrangement, non ? »

Georg hocha la tête. Un arrangement, bien sûr.

Avant même qu'il ne réalise ce qu'il se passait, une sirène se mit à hurler dans la nuit, déchirant le silence de son cri strident.

Volker ramena sa mèche en arrière, et scruta les cieux en poussant un soupir désabusé.

« Tes collègues.

L'espion secoua la tête en grimaçant.

- Ne me mets pas dans le même sac qu'eux.

- C'est vrai, toi tu fais un boulot honnête.

Georg ferma les yeux une courte seconde. Il n'était pas au courant de ça.

Les premières bombes tombèrent sur les installations militaires, puis d'autres s'écrasèrent dans la mer en soulevant d'immenses gerbes d'eau noire.

Il attrapa le bras de l'ingénieur.

- On se tire. »

Dans la ville, les lumières s'éteignaient, alors que la base, au contraire semblait s'éveiller en sursaut, comme une fourmilière dans laquelle on donne un coup de pied.

Les miradors s'éclairèrent brutalement tous d'un seul coup, alors que le rugissement des bombardiers emplissait toute la ville. La moto se fraya un chemin dans les rues secouées par les explosions, zigzagant entre les camions militaires qui fonçaient vers la base, enfilant les avenues pavées, bordées de maisons aux volets clos, emmurées, calfeutrées, des maisons de guerre. L'hôtel de commerce qui faisait face à la lugubre gare en cours de destruction les accueillit, Georg entraînant toujours sa dernière victime dans son sillage. Se barricader n'a jamais empêcher les bombes de tomber, aussi laissa-t-il les fenêtres nues et s'installa sur son lit comme si de rien n'était.

La chambre de Georg était froide et impersonnelle et Volker trouva qu'elle correspondait bien à l'idée qu'il se faisait d'une chambre d'espion. Mais il y avait un lit et c'est tout ce qui comptait.

« Ce sera la dernière attaque ici. Cette base va être réduite en cendre.

- Plus besoin des plans secrets de nos fusées alors ?

- Je ne sais pas. J'espère, murmura l'anglais avec un accent désabusé. »

Il l'attira sur son lit. Sa mèche blonde lui retomba devant les yeux et son regard bleu s'enflamma.

Doucement, la peau qui se réchauffe, les mains se lient, se séparent. Pas de contact, pas de caresse, pas de frissons éperdus. Juste deux peaux qui se cherchent, se trouvent, se rencontrent encore et encore. Volker lui attrapa les hanches, l'amena vers lui, lui murmura, presque timidement.

« C'était ta première fois avec un homme, l'autre jour.

L'espion hocha la tête. Bien sûr, il s'était entraîné avant, il s'était documenté ; il se considérait comme un professionnel, il ne pouvait pas laisser ce genre de détails au hasard. Mais oui, c'était sa première fois avec un homme.

- On va faire bien alors. Puisqu'on a du temps.

Il sentit ses joues se réchauffer, ses mains trembler, lorsque l'allemand lui ôta son pantalon et son caleçon. Il avait la tête devant son sexe, tout près, trop près. Il tressaillit malgré lui quand la langue chaude et humide vint lui caresser la peau.

- Arrête...

- T..ttt... n'est-ce pas toi qui a commencé ? »

Ils se laissèrent aller, l'un comme l'autre, se fondre l'un dans l'autre, savourer, oublier le reste.

Puisqu'il était à ce point, Vlkoer finit par le reconnaître, quitte à aimer un homme, autant que ce soit un ennemi. Autant aller jusqu'au bout dans l'interdit. Sinon ce n'est pas la peine d'y aller. Puisqu'il faut se cacher, s'aimer en clandestin, autant qu'il y ait des milliers de raisons, toutes plus graves les unes que les autres, autant aller jusqu'au bout. Un homme avec un homme, un maître chanteur avec sa victime, un anglais et un allemands, deux soldats, deux ennemis, autant que ce qui est caché le mérite entièrement.


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« Que vas-tu faire maintenant ? Georg loucha sur la ville qui s'embrasait au loin, les flammes que reflétait l'eau noire de la mer du Nord semblaient vouloir toucher les étoiles. Et maintenant ? Il y aurait un autre site pour ces engins de mort, naturellement. Mais toutes ses manipulations, tous ses réseaux, ils devaient être morts dans l'attaque. L'heure devait être particulièrement grave à Londres pour qu'ils aient décidé d'une solution si radicale alors qu'il était là, dans la place depuis si longtemps. Il était peut-être temps pour lui de changer d'employeur.

Il sentit le bras de son amant passer autour de sa taille.

- Jolie lumière.

- Tu crois que vous allez gagner la guerre ?

- J'en suis persuadé.

- Avec ou sans toi, ils la gagneront ?

Volker mit quelques secondes à comprendre où il voulait en venir, mais finalement, Georg sentit un deuxième bras venir l'enlacer.

- Toi aussi.

- Quoi ?

- Ils la perdront bien sans toi, cette guerre. »

Ils se regardèrent sans échanger un mot pendant un long moment. Une heure peut-être passa. Qu'est-ce qui allait dans leur vie ? Qu'est-ce qui n'allait pas ? Qu'est-ce qu'un bombardement, en cette nuit d'aout pouvait changer à leur vie ? Quel secret étaient-ils prêts à porter pour le restant de leur vie ? Clandestinité ?

Le maître chanteur hocha la tête. N'importe où, avec n'importe qui, il pouvait s'en sortir parce qu'il connaissait les bassesses de l'âme humaine mieux que quiconque. Il jeta un coup d'œil à son amant. Lui aussi, avec son port de tête aristocratique, avec sa science qui allait gagner la guerre, lui aussi, il pourrait s'en sortir n'importe où.

Il l'amena vers le lit et s'allongea sous lui.

« Encore. »


A deux heures du matin, le 18 août, eut lieu l'opération Hydra, 598 bombardiers frappèrent la base de Peenemünde, dans laquelle étaient conçus et fabriqués les V2.

Parmi les quelques six-cent ingénieurs et techniciens qui périrent lors de cette attaque, l'Hauptman Volker Weissmüller fut porté disparu et déclaré mort. Sa dépouille ne fut jamais retournée à sa famille.


FIN