Un corps sous la lune

par Dreamcatcher


M'immobilisant sur le sentier empierré qui domine la falaise, je cligne des yeux dans la lumière crue du petit matin. Le soleil levant fait danser de petites étincelles au fond des grands yeux qui me regardent sans ciller : deux beaux yeux noirs, immobiles et sans vie.

Le cadavre est adossé contre le large tronc d'un séquoia, la tête penchée à un angle étrange, les bras ballants, les jambes fléchies. Les cheveux bruns de la jeune femme s'accrochent à l'écorce rugueuse de l'arbre géant. Ses lèvres pleines sont recouverte d'une épaisse couche de rouge carmin qui a dû, de son vivant, s'assortir parfaitement à sa peau noire, mais tranche maintenant d'une manière presque incongrue sur son teint gris cendré.

La victime est exsangue... littéralement. Pendant de longues minutes, je contemple, à la base du cou, les deux trous circulaires dont s'échappe un filet brun rougeâtre. Une petite tache de sang séché macule le bord de sa veste et s'étend autour des racines du séquoia.

— C'est vous qui avez découvert le corps ?

La voix masculine me tire de mon hébétude. Avec un froncement de sourcils, je me retourne vers celui qui vient brutalement de me rappeler sa présence à mes côtés, et le peu de bonne humeur qui me restait après un réveil aux aurores s'évanouit.

Nathan Keller, mon nouvel assistant. Cette seule pensée suffit à me faire grincer des dents.

Sans se laisser démonter par mon air bourru, Nathan me décoche un sourire qui creuse deux petites fossettes sur ses joues parsemées de tache de rousseurs, avant de se tourner vers le garde-forestier auquel sa question était adressée. Je n'ai plus rien d'autre à faire qu’admirer le jeune homme blond, au physique athlétique, qui poursuit son interrogatoire avec l'aplomb d'un policier chevronné, ce qui ne fait rien pour calmer mon humeur.

La semaine dernière, ce bleu, fraîchement émoulu de l'académie de police de Pennsylvanie, a été catapulté dans notre service. Major de sa promotion, paraît-il, et accompagné lettres de recommandation tellement élogieuses que c'est tout juste si nos chefs n'ont pas sorti le tapis rouge pour l'accueillir. Pourquoi ce cador a-t-il choisi de traverser tout le pays pour venir s'enterrer dans un petit comté rural du nord de la Californie au lieu d'entamer une prestigieuse carrière sur la Côte Est ? Cela reste un mystère. Toujours est-il que j'ai hérité du discutable honneur de montrer les ficelles du métier à notre nouvelle recrue.

Et depuis une semaine, c'est moi qui ai l'impression d'être de retour à l'époque de mon premier poste. Je surveille chacune de mes paroles, dans la hantise de la gaffe que le petit génie relèvera bien sûr, l'air de rien, en me citant le code pénal qu'il semble avoir mémorisé mot pour mot. Le tout accompagné de ce sourire à la fois timide et charmeur, et d'un regard tellement innocent qu'il m'est impossible de le rabrouer.

Un crissement de pneus, un claquement de portière et le bruit de pas rapides sur le sentier m'apprennent que les ambulanciers et le médecin légiste nous ont rejoint. Après un examen rapide, ce dernier ne décèle pas d'autres blessures, mais conclut néanmoins que le décès est dû à une perte de sang massive. Je contemple dubitativement le petit filet qui serpente sur le cou de la victime et la tache relativement réduite qui s'étend à côté.

— Elle a sans doute été tuée ailleurs et le cadavre a été déposé ici peu après, dis-je, plus pour moi-même que pour mes compagnons.

— Possible, mais improbable.

D'un mouvement vif, je me tourne vers la calamité qui me sert d'assistant.

Sans se démonter, Nathan m'adresse un haussement d'épaule qui se veut contrit et un sourire... LE fameux sourire. Une fois de plus, toute remontrance s'évapore de mon esprit alors que mon regard plonge dans ses yeux bleus limpides. Et non, mon cœur n'a pas accéléré, mon estomac ne s'est pas serré lorsque mes yeux se sont posés sur ses lèvres fines et légèrement entrouvertes...

— Regarde ses cheveux, poursuit-il, me tirant heureusement de ma rêverie. Elles s'accrochent à l'écorce comme si la victime avait glissé le long du tronc. Et ses jambes sont pliées sous elle, les pieds proches des racines. On dirait qu'elle s'est d'abord tenue debout, adossée à l'arbre, puis qu'elle s'est affaissée, peut-être en état de choc suite à la perte de sang.

Je me mords la lèvre et retiens de justesse un grognement de frustration. Dit comme ça, ça paraît tellement évident...

— Mais dans ce cas, où est passé le sang ?

J'ai posé la question sur un ton de défi et Nathan répond par un nouveau haussement d'épaules, perplexe celui-là. Je suis presque rassuré de constater qu'il n'a pas entièrement réponse à tout.


Nous consacrons le reste de la matinée à visiter les lieux de divertissement des environs, dans l'espoir que quelqu'un ait vu la victime la veille, mais sans succès.

Lorsque je reprends le volant après un énième interrogatoire infructueux, un soupir provenant du siège du passager me fait tourner la tête et je ne peux retenir un petit rire, plus compréhensif que méchant. Nathan fixe la pendule du tableau de bord d'un oeil morose. Il a l'air à peu près aussi épuisé et frustré que moi.

— Et si on faisait une pause, Sergent ?

L'entendre m'appeler par mon grade ne me déplaît pas, même si je sais qu'il ne le fait que pour m'amadouer. J'ai à peine ouvert la bouche que mon estomac répond pour moi avec un long grognement. Nathan et moi écarquillons les yeux avant d'éclater de rire au même moment.

Alors que nous nous attablons dans un petit restaurant familial, je me sens plus à l'aise en compagnie de mon assistant, comme si ce fou-rire partagé avait rompu la glace entre nous.

— Alors, génie, dis-je finalement entre deux bouchées de steak, que penses-tu de cette affaire ?

— Je suis dans le brouillard, répond Nathan en secouant la tête de droite à gauche. Une victime impossible à identifier, pas de mobile apparent, et ce mode opératoire bizarre...

— Tu l'as dit. Je n'arrive même pas à imaginer l'arme de crime. Un stylet ? Un poinçon ?

— Un pic à glace ?

Nos regards se croisent et nous éclatons à nouveau de rire.

Après avoir retrouvé un semblant de calme, je lève les yeux pour trouver ceux de Nathan rivés sur moi. Il déglutit d'une façon audible. Je suis du regard le mouvement de sa pomme d'Adam le long de sa gorge, fasciné par le jeu des tendons sur sa peau claire. Je m'agite un peu sur ma chaise et ma jambe rencontre la sienne sous la table. Je recule précipitamment le pied.

— Alex...

Ainsi murmuré, d'une voix tellement différente de son baryton habituel, mon diminutif semble incroyablement intime. Je frissonne de la tête aux pieds.

Sa jambe frôle à nouveau la mienne et, cette fois-ci, je ne recule pas. Lui non plus ; au contraire, il accentue légèrement la pression contre mon tibia.

Je secoue la tête comme si cela suffisait à remettre de l'ordre dans le chaos de mes pensées et à chasser les émotions qui menacent de me submerger. Quelque chose de totalement inattendu est en train de se passer. Non, pas inattendu : quelque chose que je redoute depuis le moment où le capitaine m'a présenté cet Adonis à la crinière d'or, largement de dix ans mon cadet, en me disant qu'il était désormais placé sous ma responsabilité. Quelques éclats de rire ont suffit à réduire en miette la barrière de méfiance et d'agacement que j'avais érigée, me laissant complètement vulnérable. Et en cet instant, je n'ai qu'un envie : me pencher par-dessus la table, le saisir par le col de la chemise et presser mes lèvres contre les siennes...

Au pris d'un effort de volonté surhumain, je romps le contact entre nos jambes et je ramène mes pieds sous moi, hors d'atteinte, avant de reprendre la parole.

— Il y a toujours ce point qui me préoccupe. Si ton hypothèse est exacte et qu'elle a été tuée sur place, où est passé le reste du sang ?

D'abord surpris par mon changement d'attitude, Nathan retrouve en quelques instants l'expression attentive et professionnelle que je lui connais. J’admire sa maîtrise de soi.

— Va savoir... Peut-être le tueur l'a-t-il recueilli dans une bouteille ?

— Trois ou quatre litres ? Ça fait une grosse bouteille...

Nathan hausse les épaules, apparemment pas plus convaincu que moi par son explication.

— L'autre solution...

Je relève la tête en entendant le changement dans la voix de Nathan. Ses yeux bleus pétillent de malice.

— L'autre solution, c'est que nous ayons affaire à un vampire.

— Ha ha ! En effet, ça expliquerait tout !

Je me force à rire, mais mon manque d'enthousiasme est flagrant. Un vampire ? C'est aussi la première chose qui m'est venue à l'esprit lorsque j'ai vu cette double blessure sur le cou du cadavre. Je ne crois pas plus aux vampires qu'aux fantômes, évidemment. Mais... pourrait-il s'agir d'un tueur jouant au vampire ? Attaquant ses victimes sans discrimination, pour les vider de leur sang ?

Cette affaire me plaît de moins en moins. Un mauvais pressentiment m'envahit.


Mon compagnon ne me quitte pas des yeux du reste du repas. Nous n'échangeons plus que quelques mots, mais le regard qu'il pose sur moi a une intensité troublante. Mon cœur bat si fort qu'il me semble que tout le restaurant doit l'entendre. J'ai beau être largement plus âgé que lui et, en théorie, plus expérimenté, j'ai l'impression d'être de nouveau un collégien, à la fois émerveillé et terrifié par son premier coup de cœur.

Je ne peux plus me mentir à moi-même. J'ai envie de lui depuis le premier instant où je l'ai vu. Et je sens que ma résistance s'épuise. Il suffit qu'il pousse encore un peu pour que je tombe... et je sais d'avance que la chute sera dure.

Le repas terminé, nous reprenons la route en direction de la station centrale. Je commence à peine à regagner un certain sentiment de contrôle, autant sur mes émotions que sur la situation, lorsque je sens la main de Nathan se poser près de mon genou, puis monter lentement le long de ma cuisse et frôler mon entrejambe avant de redescendre, dans une lente caresse. J'avale un cri de surprise et manque de faire une embardée.

Je tente de parler, mais un seul mot franchit mes lèvres :

— Pourquoi ?

La main de Nathan s'immobilise sur ma cuisse. Je lui jette un rapide regard en biais. Il semble perplexe.

— Tu me plais. Beaucoup. Faut-il une autre raison ?

Je soupire, incapable de trouver une réponse. Nathan me regarde d'un air inquiet et se mordille la lèvre.

— Est-ce que... je ne te plais pas ?

Je secoue la tête avec frustration. Dire qu'il me plaît serait un euphémisme. Mais...

— Tu es trop parfait !

Les mots m'ont échappé sans que je réfléchisse. Nathan reste interdit et j'essaie d'expliquer ma pensée.

— Tu es l'élève le plus brillant de ta promotion. Tu as un talent naturel pour le travail d'investigation. Et, comme si ce n'était pas suffisant, tu es beau comme un dieu...

Un éclat de rire m'interrompt.

— Je ne dis pas que je n'apprécie pas le compliment... mais je crois que tu pousses un peu ! J'accepterai jusqu'à « très bien foutu », lance-t-il avec un clin d'oeil.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Sa candeur est désarmante.

— Et.. ça te déplaît ? poursuit-il.

— Non ! Ça me rend jaloux, je l'avoue, mais ça ne me déplaît pas. Je me demande juste... ce que ça cache.

Je me mords, la lèvre, réalisant soudain à quel point ce que je viens de dire peut être mal interprété. Je coule un regard inquiet dans sa direction, mais il n'a pas l'air en colère. Il semble juste intrigué.

— Qu'est-ce qui te fait penser que je cache forcément quelque chose ?

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, Nat. Simplement... personne n'est parfait, toi pas plus qu'un autre, j'en suis persuadé. Et ça m'intrigue. Je meurs d'envie de savoir quel est le défaut de la cuirasse.

Nathan hoche pensivement la tête.

— Oui, il y a des choses que personne ne sait sur moi... ce que tu appelles le « défaut de la cuirasse », j'imagine. Mais c'est pareil pour tout le monde, non ? Tu n'en as pas, toi, des secrets ?

— Si, bien sûr.

— Eh bien, dans ce cas... je te révélerai mon plus grand secret si tu me dis le tien.

Ses yeux bleus plongent un instant dans les miens et il prononce cette phrase d'un ton si doux, si intime, que je sais que je ne peux rien lui cacher.

— D'accord. Mon plus grand secret, c'est que je suis gay.

Il hausse les sourcils d'une façon comique et part d'un immense éclat de rire, tellement communicatif que je ne peux m'empêcher de l'imiter. Bientôt, nous nous tordons tous les deux, sans plus savoir ce qui a déclenché cette crise de fou-rire. Toute la tension des derniers jours semble s'évanouir.

Nous rions encore comme des baleines lorsque nous franchissons en voiture le portail de la station centrale, sous les yeux ahuris du planton dans sa guérite.

— Alors là, réussit à articuler Nathan en s'essuyant les yeux alors que je gare la voiture devant le bâtiment, je suis choqué. Je ne m'en serais jamais douté !

J'ai suffisamment repris mon sérieux pour pouvoir lui décocher un regard vexé.

— Bon, d'accord, c'est apparemment assez évident pour toi... Mais je t'assure que, pour autant que je sache, personne d'autre à la station n'est au courant. Voilà pourquoi je peux dire que c'est mon plus grand secret... et peut-être mon seul secret.

— Je comprends... et je suis heureux d'être le premier à qui tu en aies parlé, Alex.

Il se penche vers moi et ses lèvres effleurent les miennes. Le baiser ne dure qu'un instant, mais cela suffit à chasser toute pensée cohérente de mon esprit. Plus rien n'existe que la tiédeur de ses lèvres, le parfum épicé de sa peau, et la douceur qui envahit ses yeux mi-clos.

Lorsque je me souviens enfin que nous sommes garés dans la cour de la station de police, heureusement vide en ce moment, je bondis littéralement hors de la voiture. C'est seulement en entrant dans le bâtiment que je réalise que j'en ai oublié de demander à Nathan quel était son secret. Le regard amusé qu'il me jette m'apprend qu'il en est parfaitement conscient. Je grince des dents et inscrit mentalement le mot « manipulateur » au sommet de la liste de ses défauts.

Les quatre heures suivantes se déroulent de façon studieuse. J'épluche le fichier des personnes disparues, mais sans succès. À côté de moi, Nathan fixe son écran, sourcils froncés, ne s'interrompant de temps à autres que pour griffonner quelques notes. Il m'appelle finalement à voix basse.

— J'ai trouvé une affaire non résolue qui présente des similarités avec la nôtre. Seulement, elle remonte à 1967.

— Si vieille ? En quoi est-ce que ça peut nous aider ?

— Je sais, je sais... Mais tu verras, les faits sont troublants. Il s'agit d'une série de meurtres survenus près de Wharton, dans le New Jersey. Cinq corps ont été retrouvés dans les bois. Il y a d’abord eu trois meurtres en trois nuits, puis les deux derniers un mois plus tard. À chaque fois, les cadavres étaient vidés de leur sang et ne présentaient comme blessures que deux trous à la base du cou.

— Oh merde.

— Comme tu dis. Ça semble familier, non ? À l’époque, l'affaire a fait la une des journaux. Le tueur a été surnommé « le vampire du New Jersey ». Cependant, l'enquête n'a jamais abouti.

— Tu as raison, c'est une drôle de coïncidence. Mais quarante ans plus tard, il ne peut tout de même pas s'agir du même meurtrier !

— En effet... Sauf si nous avons affaire à un véritable vampire, bien sûr.

Il me regarde en souriant, les yeux brillants d'amusement. Mon regard courroucé lui fait vite retrouver son sérieux.

— Je sais, je sais, je n'y crois pas plus que toi, dit-il en soupirant. Par contre, il pourrait très bien s'agir d'un crime d'imitation.

Je fronce les sourcils en réfléchissant à un détail qu'il vient de mentionner.

— C'est tout de même curieux, cet écart d'un mois entre les deux groupes de meurtres, non ?

— Ah... C'est un élément qui m'a laissé perplexe, moi aussi, jusqu'à ce que j'aie l'idée de vérifier quelle était la phase de la lune lors des crimes. Et là, tiens-toi bien : dans tous les cas sans exception, le meurtre a eu lieu la nuit de la pleine lune, un jour avant, ou un jour après.

Je sens une sueur froide me couler dans le dos.

— Et ce soir, nous sommes... ?

— La nuit de la pleine lune.

— Bordel de merde !

Je me lève, vérifie que mon arme de service est chargée et sors de la pièce à grands pas. Nathan en fait de même.

Ce n'est qu'une fois sur la nationale que je retrouve un semblant de calme, aidé par le bourdonnement régulier du moteur. Mon passager ne sourit pas, pour une fois, mais regarde pensivement les panneaux routiers à travers le pare-brise poussiéreux de la Chevrolet. Mon cœur se serre.

— Je suis désolé de t'avoir forcé la main comme ça, Nat. Je t'ai emmené sans te demander ton avis.

Il secoue doucement la tête.

— C'était la décision la plus logique, et je te l'aurais suggérée si tu ne l'avais pas prise. Ça ne m'empêche pas d'être... un peu appréhensif. Mais je suis heureux que nous soyons ensemble, ce soir.

Je cherche sa main et entrelace mes doigts avec les siens. Il soupire doucement et caresse ma paume avec son pouce. Mon cœur saute quelques battements. Le regard qu'il dirige vers moi, sous sa douceur, brûle de passion contenue.

Lorsque je ramène ma main sur le volant, celle de Nathan retrouve sa place sur ma cuisse et je sens mon corps se tendre sous ses caresses. Peu à peu, ses mouvements se font plus amples et ses doigts frôlent de plus en plus fréquemment l'érection comprimée par mon pantalon. J'entends sa respiration s'accélérer et, inconsciemment, la mienne se règle sur son rythme. L'afflux d'oxygène me fait tourner la tête.

J'ai besoin de dire quelque chose, n'importe quoi, pour détourner mon attention du désir urgent qui m'envahit.

— Cet après-midi, je t'ai dit mon plus grand secret, n'est-ce pas ? Maintenant, c'est à toi d'en faire autant.

— D'accord, je te le dirai... plus tard, répond-il d'un ton facétieux.

Il me reste encore suffisamment de sens, derrière les brumes érotiques qui envahissent mon esprit, pour protester :

— Hé ! Tu avais promis !

Nathan rit doucement, d'une voix basse et rauque, et j'en perds presque le fil de la conversation.

— J'ai promis que je te le dirais, reprend-il sans pitié, mais je n'ai jamais dit quand.

— Tricheur !

— Alex... Ne sois pas fâché, dit-il d'une voix est douce et caressante. Je ne cherche pas à te dissimuler quoi que ce soit, mais mon secret est plus facile à montrer qu'à expliquer. Tu le sauras bientôt. Fais-moi confiance.

Sa main caresse ma joue d'un mouvement apaisant et, à l'encontre de tout bon sens, je réalise que je lui fais en effet confiance.


La nuit est complètement tombée lorsque nous atteignons le sentier qui mène à la falaise et quittons la voiture en silence. Les bois sont déserts, ou du moins le paraissent. Nous nous arrêtons au pied d'un séquoia majestueux, à une dizaine de mètres de l'endroit où se trouvait le cadavre ce matin.

Je me dissimule partiellement derrière le tronc de l'arbre géant et Nathan se rapproche de moi jusqu'à me toucher. Je réalise soudain à quel point notre entreprise de ce soir est illusoire. Je suis censé observer mes alentours et écouter les bruits de la nuit, mais seule chose que j'entends est sa respiration rapide et le vacarme de mon propre cœur. Je suis seulement conscient de la chaleur de son corps contre le mien, du parfum épicé de sa peau et du désir ardent, impérieux, qui me domine.

J'entends un petit bruit près de mon oreille, comme une sorte de sanglot, et je sens les bras de Nathan encercler mes épaules, me serrant convulsivement, douloureusement, et son visage presser contre ma nuque. Sa voix me parvient étouffée.

— Alex... Je n'en peux plus... Je te veux...

Ses mains saisissent mes épaules et me font pivoter, plaquant mon dos contre le tronc de l'arbre. L'instant d'après, son corps est pressé contre moi et ses lèvres sont sur les miennes. Pris de la même fièvre, je lui rends son étreinte et accueille avec joie la langue qui prend possession de ma bouche.

Ses mains s'acharnent fiévreusement sur ma chemise, arrachant plus de boutons qu'elles n'en dégrafent. Lorsque les pans de ma chemise s'écartent enfin, il s'attaque voracement à mon torse, laissant un sillage de salive sur ma peau matte. Il aspire goulûment mes tétons dans sa bouche et les mordille jusqu'à me tirer un cri de douleur et de plaisir mêlés, puis il descend encore plus bas, goûtant la peau tendre de mon abdomen, le couvrant de suçons dont il apaise la brûlure par les caresses de sa langue humide.

Ses mains essaient maladroitement de défaire ma ceinture. Je l'aide à m'en débarrasser, laissant par la même occasion glisser au sol mon pistolet dans son étui. Je n'accorde à mon arme qu'une pensée fugace. Il tire fiévreusement sur l'étoffe de mon pantalon, le faisant glisser avec mon slip le long de mes hanches et de mes cuisses. Mon érection, d'abord entraînée vers le bas par le tissu, s'en dégage et rebondit contre mon ventre. Il se jette dessus avec un grognement rauque, l'engouffrant dans la caverne chaude et humide de sa bouche.

Une sensation voluptueuse m'envahit et je lance une exclamation de plaisir. Les lèvres de Nathan glissent le long de ma verge alors que sa langue tournoie autour de mon gland. Ses mains encerclent mes hanches, m'attirant vers lui, faisant pénétrer un peu plus profondément ma queue dans sa bouche. Ses doigts me serrent convulsivement, pétrissant, meurtrissant mes fesses. La légère douleur ne fait qu'accroître mon ardeur. Bientôt, mes coups de bassins accompagnent le mouvement de sa tête. À chaque va-et-vient, sa gorge accueille un peu plus profondément mon érection, m'entraînant dans un maelström de sensations que je ne peux retenir d'atteindre son point culminant. Un premier spasme de volupté envahit mon corps, suivi d'un autre, et d'un autre encore. Mes doigts se crispent douloureusement contre l'écorce et je hurle mon plaisir sans retenue, sans la moindre pensée pour la discrétion dont nous sommes censés faire preuve, alors que j'explose au fond de la bouche de Nathan.

Je sens sa gorge travailler autour de mon membre qui s'assouplit, avalant ma sève. Un instant plus tard, il est debout contre moi et m'embrasse avec fougue. La saveur âpre de mon propre sperme envahit ma bouche. Je n'ai jamais rien goûté de plus érotique.

— Alex... Alex, mon amour... Je te veux ! Tu es à moi !

Il m'étreint convulsivement, comme s'il cherchait à fondre nos deux corps par-delà la barrière de nos peaux. Je plonge mon regard dans le sien et ne peux retenir une exclamation étouffée. Ses iris bleus semblent briller de leur propre lumière, faisant écho à l'éclat de la lune. Son visage est animé d'une expression sauvage et passionnée. Comme échappant à ma volonté, mes lèvres s'entrouvrent et les mots sortent d'eux-même.

— Je suis à toi.

Et dans un instant de révélation aveuglante, je réalise que je lui appartient en effet. Irrémédiablement. Jusqu'au plus profond de moi-même, jusqu'à ma dernière cellule, jusqu'au dernier recoin de mon esprit. Je suis à lui, corps et âme.

Avec un grognement farouche, il m'embrasse encore une fois, meurtrissant mes lèvres, avant de dégrafer sa ceinture et de laisser glisser son pantalon à ses pieds. Je le contemple, souffle coupé. Ses mains empoignent mes épaules et me font pivoter si brutalement que je perds l'équilibre. Seul le tronc de l'arbre m'empêche de basculer vers l'avant.

Pendant un instant, ses mains me relâchent. Je n'ose ni bouger, ni tourner la tête, mais aux bruits que je perçois, je l'imagine en train d'enduire son membre de salive. Un doigt humide teste mon orifice puis se retire, et bientôt c'est son sexe énorme et raide qui pousse contre moi, m'emplissant lentement, délicatement, glissant en moi centimètre par centimètre alors que ses mains caressent tendrement mon dos et mes reins, comme pour détourner mon attention de la douleur.

Lorsqu'il me semble que j'ai atteint les dernières limites de ma résistance physique et que mon corps va se déchirer en deux, son bassin entre enfin en contact avec mes fesses. Son souffle chaud et haletant caresse ma nuque et je l'entends murmurer mon prénom avec passion. Seules ses mains bougent encore, parcourant mes côtes et descendant le long de mon ventre pour terminer leur course entre mes jambes. Mon érection se ranime sous ses caresses.

Lorsqu'il sent enfin mes muscles se détendre, ses hanches entament un balancement régulier. Ses mouvements, d'abord superficiels, se fond peu à peu plus profonds, et ses doigts montent et descendent le long de ma verge au même rythme langoureux. Je sens que la douleur recède, d'abord remplacée par un plaisir diffus, jusqu'au moment ou un coup de rein particulièrement bien dirigé fait exploser une myriade d'étoiles devant mes yeux. Un plaisir aigu parcours mon corps comme une décharge électrique, m'arrachant un gémissement.

Comme s'il avait attendu ce signal, Nathan accélère le rythme, percutant le même endroit encore et encore. Je sens les sensations me submerger, m'entraîner dans une spirale de plaisir de plus en plus intense. Son membre brûlant plonge maintenant en moi à un rythme presque frénétique, m'arrachant à chaque passage un cri de volupté. Je sens l'orgasme monter en moi comme un raz-de-marée, incontrôlable, entraînant sur son passage les derniers vestiges de ma raison.

Soudain, la main de Nathan saisit ma mâchoire, tourne mon visage vers lui, et sa bouche s'écrase contre la mienne. Je ressens une douleur vive à la lèvre et ma bouche s'emplit du goût du sang. J'écarte la tête de quelques centimètres pour poser les yeux sur le visage de mon amant.

Ce n'est pas de la surprise que j'éprouve, mais simplement un sentiment de fatalité, en contemplant les deux longues canines dont l'émail brillant capture l'éclat de la lune. Et tout au fond de moi, il y a aussi un sentiment de contentement, celui de voir le dernier mystère éclairci, le secret mis à nu.

Lorsque les crocs acérés s'enfoncent dans la chair délicate de mon cou, me pénétrant aussi intensément que membre brûlant qui s'enfonce jusqu'au plus profond de mes entrailles, la douleur exacerbe le plaisir qui noie tout mon être. Mon dernier orgasme me submerge et, dans un râle ultime, je déverse mon essence sous la lune.