Titre : Obscurité

Auteur : Myushi

Genre : Yaoi / Romance

 


Obscurité

 

 

Voici une journée comme les autres. Le soleil s’était levé depuis déjà deux heures et ses rayons tombaient inlassablement dans la chambre du jeune endormi. Les oiseaux chantaient le même air monotone. C’était une journée de printemps comme les autres. L’une de celles où la chaleur semble inévitable et le bonheur.

 

Un bruit de sonnerie vint cependant troubler la tranquillité de la pièce. On ne pouvait qu’entendre ce son : bruyant, aiguë. Le dormeur poussa un grognement fatigué et sa main se mit en quête de faire stopper ce raffut. En vain. L’objet en cause était hors de portée. Résigné, il sortit de sous les couvertures et, après avoir baillé, il posa lentement les pieds sur le sol. Tel un robot, il se leva et se dirigea vers l’origine du bruit pour le faire cesser. Bougonnant quelque peu, il se sentit tout de même soulagé. La nuit avait été tumultueuse, envahie par des cauchemars plus affolants les uns que les autres. Il se gratta machinalement la tête avant d’aller à la fenêtre. Il soupira doucement en sentant l’odeur des fleurs de cerisiers. Il n’avait plus aucun doute quant à la date de ce jour. A cette pensée, le jeune homme se passa la main dans les cheveux avant de sursauter imperceptiblement en entendant une voix. Mais ce n’était rien d’autre que celle de sa mère.

 

-          Toshiro, dépêches-toi ou tu vas être en retard ! »

 

Si un quelconque doute avait persisté encore dans l’esprit du jeune homme, à présent il était complètement dissipé. Soupirant à nouveau car il n’était pas vraiment certain de vouloir entamer cette journée, il se dirigea d’un pas lent vers son armoire et en sortit ses habits. L’opération aurait pu être périlleuse pour son esprit mal éveillé. Heureusement, tout était accroché de manière à ce qu’il ait juste à tendre la main pour prendre ce qu’il voulait.

-          J’arrive ! » L’informa-t-il tout en quittant son pyjama pour le troquer contre son uniforme scolaire.

-          D’accord, n’oublie pas d’ouvrir la fenêtre et d’étendre ta couette ! » Rappela la jeune femme avec un ton las : elle devait souvent lui répéter pour qu’il le fasse.

-          Oui, oui… » Soupira Toshiro qui terminait de s’habiller.

 

Il ne ferma pas sa veste, préférant avoir le cou et la gorge libre. Il vérifia une dernière fois s’il avait tout bien mis, puis attrapa sa couette pour la poser sur le bord de la fenêtre qu’il venait d’ouvrir. Se faisant, il put sentir sur son visage la fraîcheur du vent matinal. Il aimait ce moment de la journée. C’était si calme, agréable… Il resta un instant à profiter de l’air frais apaisant. Hélas, il fut ramené à la réalité par un bruit de pas suffisamment sonore pour réveiller un mort.

On dirait que Miya est déjà prête…, songea le jeune homme tout en redressant. Il est temps de descendre !

Il prit son sac et sortit tout simplement de sa chambre pour rejoindre la cuisine. Il s’y installa mais ne mangea rien. Cela n’échappa pas à la personne qui se trouvait devant lui. Elle commença, comme toujours, à monter sur ses grands chevaux.

-          Eh grand frère[1], tu ne sais pas que le petit déjeuner est le repas le plus important de la journée ? »

-          Je n’ai pas faim Miya, alors n’insiste pas s’il te plait ! » Préféra couper Toshiro qui ne voulait pas entrer dans un débat conflictuel dès le matin.

-          Je n’ai pas faim Miya, alors n’insiste pas ! » Répéta d’un air moqueur la jeune fille. « Oh ! Mais on dirait qu’on est à cran ! »

-          Miya ! » S’agaça le jeune homme.

 

Mais il ne put hélas continuer et dire le fond de sa pensée à sa sœur. Leur mère le coupa en plein élan. Soupirant, il se contenta de se lever et se diriger vers la sortie. Il préféra ne pas répondre. De toute façon, cela ne mènerait à rien. Le jeune homme en était conscient. Enfilant ses chaussures, il resta à la porte, comme tétanisé. Toshiro fut investi d’un sentiment qui le troubla au plus profond de lui-même. Il se mit à trembler mais un observateur extérieur n’aurait pu le remarquer qu’à sa main tenant son sac. Cela aurait pu durer longtemps ainsi, si sa sœur n’était pas arrivée derrière lui, le ramenant à la réalité.

 

-          Grand frère, désolé, mais je vais à l’école seule. »

-          Seule ? Mais… »

-          Je ne veux pas que les autres me voient accompagnée de mon grand frère. Et puis tu connais le chemin. On l’a fait tellement de fois pendant les vacances que tu n’as plus besoin de moi ! » Coupa la jeune fille en se justifiant plus que de raisons. « A toute à l’heure ! » Elle fit un baiser sur la joue de son frère et se dirigea vers la sortie. « J’y vais ! »

-          Fais attention Miya ! » Répondit leur mère qui s’affairait à la vaisselle.

 

Toshiro resta paralysé, bouche ouverte. Encore sous l’effet de la surprise, il lui fallut un moment pour réaliser ce qui s’était passé. Ce n’était pas possible. Comment sa sœur avait-elle pu faire cela ? C’était un cauchemar. Un horrible cauchemar. Il allait se réveiller. Le bruit strident de son réveil allait le sortir de là. Il serra la poignée de son sac, priant pour entendre la sonnerie de son réveil. Mais rien. Rien ne vint. Seul le silence gagna en intensité. Ce fut le gong de l’horloge, signalant la demie, qui le fit réagir. Il sursauta et, tel un automate, ouvrit à son tour la porte pour sortir.

-          J’y vais… » Furent ses simples mots avant de mettre un pied à l’extérieur.

 

S’il y eut une réponse de sa mère, il ne l’entendit pas. Il sentit simplement le soleil sur son visage, le vent dans ses cheveux, ainsi que le sol dur sous ses pieds. Comme poussé par une main invisible, il avança contre sa volonté. Il voulait rester chez lui, dans sa chambre, dans ce lieu qu’il connaissait si bien et où il se sentait à l’aise. Mais ses pieds avançaient, pas après pas.

Son cœur battait à la chamade. Ses mains étaient moites. Sa progression était lente. Il stoppa net quand il arriva à un croisement, sans même savoir où il était. Adossé à un réverbère, il ne savait plus où aller. Etait-il parti du bon côté ? Il ne s’en souvenait plus.

Tremblant comme jamais, il se sentit perdu et étranger à cette rue. Il était seul… Si seul… Et les mots de sa sœur lui revinrent à l’esprit, résonnant avec malice dans sa tête. « Je ne veux pas les autres me voient accompagnée de mon grand frère… », « Tu connais le chemin… », « … fait tellement de fois… ».

A chaque seconde qui passait, le jeune homme se sentait de plus en plus oppressé et à l’étroit dans ses vêtements. Sa tête raisonnait comme le tintement d’une cloche d’une église. Il avait l’impression de perdre pied. La sueur coulait le long de sa colonne vertébrale. C’était un cauchemar… Un cauchemar trop réel et auquel il ne pouvait échapper.

-          Aidez-moi… » Murmura-t-il si bas que cela en était inaudible. « Aidez-moi… »

 

Il priait pour que sa sœur revienne sur sa décision. Mais son souhait n’obtint aucune réponse. Il restait là, la poitrine serrée, le cœur comprimé par celle-ci, les jambes flageolantes, les mains humides. Il était seul… Et cette constatation le tétanisait. Ce sentiment ne lui plaisait pas, ni cette faiblesse nouvelle qui l’envahissait de plus en plus. Il voulait changer, mais s’en sentait incapable. Tout cela n’était qu’un cercle vicieux qui le rendait prisonnier de ses sensations. Ce qui le perturbait toujours un peu plus.

Le temps semblait figé et prolongeait cette torture morale dans laquelle il avait sombré.

C’est à ce moment que Kyuuseishu[2] arriva. Il trouva Toshiro prostré, immobile… Ne faisant aucun commentaire, simplement, il se dirigea vers ce dernier avant d’imposer, sur son épaule, sa main. Le geste fut doux, pourtant, il fit sursauter le jeune homme qui se tourna vivement et recula instinctivement. La crainte fut vive. Il ne savait pas à qui il avait affaire. Il préférait mettre de la distance entre lui et l’inconnu. Sans savoir réellement où il mettait les pieds. Seul le fait de reculer était important pour le jeune étudiant.

 

-          Qui est là ? » Demanda-t-il sur la défensive. Il avait retrouvé la mobilité de ses jambes.

-          Tamashii, Kyuuseishu Tamashii. Nous sommes dans la même classe depuis notre rentrée au lycée. Vous vous souvenez Kodoku-san[3] ? » Répondit l’intéressé avec un calme rassurant. Il avait le timbre de voix d’un jeune homme.

-          Tamashii ? »

 

Toshiro ne voyait pas vraiment qui était ce type. Cependant il devait avouer que sa présence avait quelques points positifs dont il ne comptait pas se plaindre. Il voulait tout de même connaître l’identité de cette personne. Non pas qu’elle ne lui inspirait pas confiance, mais il préférait savoir à qui il avait à faire. Pourtant, il restait indécis. Le dénommé Tamashii l’interrompit dans ses réflexions intérieures en prenant de nouveau la parole.

 

-          Kodoku-san ! Nous devrions y aller avant d’être en retard ! »

-          Euh… oui ! »

 

Plus que surpris, Toshiro en avait oublié complètement sa peur panique. Toujours aussi perplexe, mais totalement soulagé, il finit par faire un signe de la main.

 

-          Passe devant ! » Fit-il en joignant le geste à la parole.

-          Oui… » Fut la réponse de Kyuuseishu qui, sans la moindre hésitation, ouvrit la marche.

 

Toshiro ne savait pas s’il devait vouvoyer son camarade. Et de toute façon, ce n’était pas dans ses habitudes. Il ne le faisait que pour ses aînés. Alors, il préféra rester fidèle à lui-même. Il avait retrouvé ses marques et cela avait quelque chose de réconfortant. Tout en se concentrant sur le bruit des pas, il avança avec plus d’assurance et reprit la route du lycée.

 

Qui est ce type ? Pourquoi s’arrêter pour moi alors qu’il semble évident que je ne le remets pas ? Que veut-il ? S’interrogea intérieurement le jeune homme tout en continuant de progresser sur le chemin.

 

Il était normal de s’interroger. Depuis le mois de février, il ne voyait plus personne. Personne ne venait chez lui. Personne ne lui téléphonait. Alors qu’avant cet accident, il était l’un des plus populaires du lycée. Il avait compris que l’amitié n’était pas une chose concrète et qu’au final, il n’avait aucuns amis. Oh, il ne leur en voulait pas. Il n’était pas sûr de son côté qu’il aurait réagi différemment si cela était arrivé à une autre personne. Cependant, la réalité avait quelque chose de douloureux. Même si cela, il ne se l’était jamais avoué. Enfin jusqu’à maintenant. Concentré sur les pas de Kyuuseishu, il réalisait à quel point ces deux mois et demi de solitude avaient été pesants. Ce garçon, devant lui, était la première personne de son âge qui venait lui parler. En fait, la première personne à se comporter naturellement avec lui. Même sa mère et sa soeur avaient changé après ça…

 

Soupirant à cette pensée, tout en suivant Kyuuseishu, il se contenta de marcher, sans prononcer un seul mot.

 

*****

 

Le lycée… Ces bruits de pas… Ces voix bruyantes qui m’encerclent… Cette impression oppressante qui m’envahit…

 

Ils étaient enfin au lycée. Toshiro se retrouva aussitôt envahi par ce sentiment qu’il pensait avoir repoussé avec brio. Il était toujours aussi pesant… Non… Il l’était plus encore. Le sang tambourinait dans ses tempes. Son cœur s’emballait. Des sueurs froides glissaient le long de sa colonne vertébrale. Il avait l’impression d’être pris dans un entonnoir, haletant et tremblant, perdu et paniqué… Il se figea purement et simplement alors qu’il avait réussi à pénétrer dans le bâtiment principal. Il était bousculé de toute part. Il était comme dans un cauchemar, isolé dans une pénombre angoissante. Il avait une envie presque ingérable de fuir, mais il n’arrivait pas à bouger. Sa panique était réelle, mais personne ne semblait la voir. Au lieu de cela, insultes et remarques fusaient de toute part.

 

-          Dégage du chemin imbécile ! »

-          Eh, t’as perdu tes jambes ? »

 

Les sarcasmes continuaient encore et encore, jusqu’au moment où une voix moins agressive s’imposa. Voix que Toshiro ne perçut pas immédiatement. Cependant, elle finit par parvenir jusqu’à lui. Il lui fallut un moment pour comprendre ce qu’on lui disait. Il s’accrocha à cette dernière comme à un filet de sécurité alors qu’une lumière éclatante venait d’apparaître dans son obscurité angoissante.

 

-          Kodoku-san ? Vous allez bien ? Kodoku-san ?... Kodoku-san ? »

 

Kyuuseishu s’inquiétait sincèrement pour son camarade. Il l’avait vu se figer complètement et perdre ses repères. La panique s’était lue sur le visage de Toshiro. Kyuuseishu n’avait pas su quoi faire et avait été pris d’hésitation. Aurait-il dû rester là ou appeler à l’aide ? Ce fut à cet instant précis qu’un groupe avait fait son entrée en bousculant Toshiro tout en lui faisant des remarques désobligeantes. Cet événement l’avait poussé à prendre sa décision et il avait appelé son camarade. Au départ, il avait cru que cela ne marchait pas. Puis, il l’avait vu s’animer…

 

-          Tamashii ? » Fit-il en glissant la main sur son visage pour se masser légèrement les yeux.

-          Oui ! Vous allez bien Kodoku-san ? » Demanda avec soulagement le jeune homme tout en soupirant.

-          Hm… Allons-y… »

 

Etait-ce lui qui venait de dire cela ? Toshiro n’y croyait pas. Surtout qu’il n’avait aucune envie de se retrouver en classe. Il ne savait pas si les personnes, présentes en février, seraient là aujourd’hui. Peut-être serait-il dans une nouvelle classe, avec des nouvelles têtes. Mais il en doutait. Et même si c’était le cas, il ne pourrait pas le voir. Soupirant lui aussi, mais pas pour la même raison, il sentit sa main se faire attraper. Tracté, il se mit doucement en mouvement.

 

-          Oui ! » Avait répondu Kyuuseishu en prenant la main de Toshiro. « Ne vous en faites pas, c’est juste le temps d’arriver à notre classe. Et il n’y a personne… »

 

Pendant que Kyuuseishu se justifiait de façon de plus en plus maladroite, Toshiro lui se sentait troublé. Et le trouble n’était plus le même. Percevant un sentiment de mal-être, il faillit lâcher la main de son camarade mais il en fut empêché. Ou plutôt, il fut devancé. Surpris, il s’arrêta net et chercha une explication à ce qui se passait. Son trouble ne le quittait pas et il n’aimait pas cela. Tout en restant immobile, il attendit la suite des évènements.

 

-          Kodoku-san… »

-          Oui ? » Répondit le jeune homme, plus sur la défensive qu’autre chose.

-          Ne vous en faites pas ! » Continua naturellement le jeune garçon, souriant avec simplicité. « Rien n’a changé vous savez ! Vous êtes toujours une personne de sexe masculin, avec des cheveux bruns mi-longs souvent coiffés en bataille et des yeux noirs. Vous êtes vous. Toshiro Kodoku. Le type populaire qui a toutes les filles à ses pieds… »

 

Et pas qu’elles… Soupira le brun tout en continuant sa prise de parole l’air de rien.

 

-          Et une réputation sans faille… »

-          Toujours le type populaire ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Et puis ne dis pas des choses aussi bizarres… Imbécile ! » Grommela Toshiro qui ne se sentait vraiment pas à son aise.

 

Kyuuseishu ne lui répondit pas. Au lieu de cela, il ouvrit la porte de la classe et y entra, après avoir demandé à son camarade de le suivre. Ce que ce dernier fit, se concentrant une nouvelle fois sur les pas de l’autre. Dès qu’il eut pénétré dans la salle, le silence s’installa. C’en était déstabilisant. Mais il prit sûr lui car il ne devait surtout pas flancher ici. Il se dirigea vers sa chaise, toujours focalisé sur les pas de Kyuuseishu. Il ne prit conscience de cela que lorsque ce dernier prit la parole, le stoppant net sur le coup.

 

-          Kodoku-san… »

-          Quoi ? » Répondit Toshiro sur la défensive, mal-à-l’aise dans cette ambiance.

-          C’est votre place ! » S’exclama le jeune homme tout en sursautant, surpris par le ton de son camarade.

-          Ah… Euh merci ! »

 

Se fiant à son instinct, il attrapa sa chaise et s’y installa avant de soupirer, et ce, sous les yeux de Kyuuseishu mais également ceux de toute la classe. Kyuuseishu le fixa alors et soupira lui aussi en revenant à aux autres élèves. Il écouta les murmures et revint à Toshiro tout en rajustant ses lunettes. Il ne savait pas ce qu’il ressentait. Mais il savait une chose, c’était que ce dernier n’était pas sourd. Il leva la main pour l’imposer sur l’épaule de Toshiro mais retint son geste avant de tout simplement s’asseoir. Pendant ce temps, les murmures grossissaient pour devenir des conversations ouvertes…

 

-          C’est Kodoku non ? » Commença une voix…

-          Le Kodoku ? Tu crois ? » L’interrogea une voix féminine.

-          Oui ! Il était dans ma classe l’année dernière. » Répondit une autre personne.

-          Ah Bon ? Tu as dû voir ce qu’il s’est passé alors ? » Demanda la première voix.

-          Ce qui s’est passé ? » Coupa une autre voix dans le brouhaha qui ne cessait pas d’augmenter.

-          Oui. Il y a eu un accident à la sortie du lycée. Un homme qui avait trop bu est arrivé à pleine vitesse et est rentré dans le mur… » Expliqua une jeune fille assez fière d’elle.

-          Oh ? Ca explique pourquoi le mur a été refait. J’en avais entendu parler, mais je pensais que c’était une histoire. Un bruit de couloir quoi ! » Fit un garçon qui venait d’entrer pour rejoindre directement le groupe.

-          Non… c’est vrai ! En plus de faucher le mur, la voiture avait fauché un élève. Et c’était Kodoku ! »

-          Vraiment ? »

 

Tous se tournèrent vers le jeune homme et le fixèrent comme une bête de foire.

 

-          Pourtant il n’a pas de cicatrices. Je dirais même qu’il est vachement beau. »

-          Ca c’est sûr ! Il avait toujours une tonne de filles dans son dos. » Ajouta une jeune fille avec une expression un peu envieuse.

-          Et de garçons ! Tu ne te souviens pas de Sanosuke-kun ? Et Ryura-kun ? »

-          Ah oui, c’est vrai. Pourtant il a été absent les deux derniers mois d’école. »

-          Ah bon ? Pourquoi ? »

-          J’ai entendu dire qu’il avait un handicap. Que sa sœur était obligée de toujours rester avec lui. C’est l’amie de mon petit frère qui me l’a dit. »

-          Vraiment ? La pauvre… Ca ne doit pas être drôle d’avoir un grand frère handicapé ! »

-          C’est quoi son handicap ? » Demanda une jeune fille qui fixait toujours Toshiro. « Il n’a pas l’air différent. Je trouve même que ses cheveux qui ont poussés, le rendent plus beau. »

-          Je crois que ses yeux… » Expliqua un garçon qui commença à détailler sa pensée.

 

Toshiro entendait tout. Chaque mot. Chaque supposition. Cela résonnait dans sa tête comme une douleur violente. Il se sentait mal. Le cœur oppressé. Les jointures de ses mains étaient blanches tellement il serrait les poings. La colère se muait en rage. Il avait envie de se lever et de leur dire sa façon de penser. Mais parler à qui ? Pour faire quoi ? Cela ne tairait pas les rumeurs et les murmures. Au contraire, tout empirerait. Pourtant, comme il était dur de se contrôler. Tremblant d’exaspération mais toujours assis, il dut se contenter d’écouter, prenant sur lui, une fois de plus.

 

Kyuuseishu voyait parfaitement ce qui se passait. Il avait noté la réaction de Toshiro. Ses poings s’étaient peu à peu serrés. Il ne se sentait pas vraiment utile. Il avait bien pensé à se lever et faire cesser ce papotage irrespectueux. Mais ses jambes refusaient de bouger. Il était condamné à rester assis sur sa chaise, à observer le tout d’un regard étranger. Il se sentait sur le coup réellement pitoyable. Espérant secrètement que le professeur arrive, coupant ainsi court à tout cela, il revint à Toshiro qui tremblait de plus en plus. Il ouvrit alors la bouche et leva son bras pour tenter de le réconforter, mais son geste fut stoppé en plein élan par une entrée brusque et vive dans la salle de classe. Surpris, il fixa l’intrus, la main toujours en l’air, comme pris en flagrant délit…

 

*****

 

Miya était enfin arrivée. Elle se sentait nerveuse. C’était son premier jour de lycée, et elle avait toujours pensé qu’elle le ferait avec son grand frère. Mais ce n’était pas le cas. Elle soupira à cette pensée. Pourtant, elle n’était pas seule. Elle avait été rejointe par ses amies. Tous étaient présents. Néanmoins, elle ressentait un manque, riant à demi mesure avec les autres. Son esprit avait des regrets. Et qu’importe ce qu’elle essayait de se dire, elle n’avait pas le cœur tranquille. Elle entendait en boucle les mots qu’elle avait dit à son frère. Si elle n’avait pas voulu le blesser, elle se rendait compte à présent combien ses paroles pouvaient être douloureuses. Soupirant à nouveau, elle fut happée hors de ses pensées par une de ses amies qui avait remarqué depuis un petit moment que quelque chose n’allait pas.

 

-          Miya-chan ? Tu sembles ailleurs… »

-          Hein ? Euh… Non c’est rien. Je dois juste faire un truc ! » L’informa la jeune fille qui cherchait à cacher au mieux ses regrets.

-          Un truc ? Quoi ? » Demanda son amie avec perplexité tout en la fixant d’un air méfiant.

-          Oui ! » Répondit du tac au tac Miya. « Je vous rejoins en classe ! »

 

Elle ne prit même pas le temps d’attendre la réponse de sa camarade et se mit à courir en direction du bâtiment. Elle fit un crochet par le tableau de répartition afin de connaître sa classe mais également celle de son frère. Elle avait eu du mal à le repérer dans la liste, mais après deux ou trois demandes à des personnes qu’elle avait croisées, elle avait fini par le trouver. A présent, restait à parvenir à sa salle de classe. Ce qui n’avait rien de simple quand cela ne faisait qu’une demi-heure qu’on était dans le lycée. Heureusement, là encore, elle trouva l’un de ses aînés qui lui expliqua la numérotation des salles de classe et donc comment se rendre à celle désirée. Elle n’y arriva qu’une dizaine de minutes plus tard.

 

Mais Miya n’entra pas pour autant. L’agitation était grande dans la salle, et curieuse, elle avait décidé d’écouter. De plus, elle n’osait pas entrer. Elle gardait ce sentiment amer au fond d’elle. Ce certain dégoût vis-à-vis d’elle-même et de son égoïsme. Honnêtement, elle ne savait pas quoi dire à son frère. Bien entendu, elle devait en premier lieu s’excuser. Mais après ? Quel comportement devait-elle revêtir ? Elle ne savait vraiment pas. Et cette question passa vite au second plan quand elle entendit mieux les murmures qui s’échappaient de la classe de son frère. Chaque mot, chaque rumeur, chaque remarque, la faisaient bouillonner de rage. « J’ai entendu dire qu’il avait un handicap. Que sa sœur était obligée de toujours rester avec lui. C’est l’amie de mon petit frère qui me l’a dit. ». Ces mots résonnèrent en elle comme un glas qui lui était prédestiné. Elle se souvenait à présent pourquoi elle voulait venir seule au lycée. Pourquoi elle avait dit ces mots blessants à son frère. Elle ne voulait simplement pas avoir honte. Elle ne voulait pas qu’on la voit avec lui. Elle avait décidé à ce moment là de l’ignorer au lycée. Faire comme s’il n’était qu’un étranger. La honte se fit soudainement encore plus pesante en elle. Sa poitrine lui brûlait. Elle posa sa main sur cette dernière, serrant la veste de son uniforme, lui murmurant de se calmer.

 

Mais rien ne se calmait. Les rumeurs exposées dans la salle de classe ne l’y aidaient pas. Si bien que petit à petit, sans même s’en rendre compte, elle s’était rapprochée de la pièce. Petit à petit, elle avait amené sa main sur la poignée de porte. Petit à petit, elle s’était préparée à entrer. Pourtant, elle n’était pas à son aise. Elle avait toujours sa poitrine douloureuse. Et à présent une boule à l’estomac. Etait-ce cela qu’on nommait culpabilité ? Miya ne savait pas, mais elle en avait de plus en plus cette impression. Elle était d’ailleurs dans cette série de questions morales quand son corps agit de lui-même. Elle se retrouva à ouvrir la porte de la salle avec brusquerie et entrer dans cette dernière en s’imposant à vive voix…

 

*****

 

-          Grand frère ! Trouvé ! »

 

Elle courut vers ce dernier et sauta presque dans ses bras. Le silence s’installa dans la salle. Tous regardaient Miya. Il y avait bien une ou deux personnes qui essayèrent de prendre la parole mais le mutisme des autres et les regards de certains les découragèrent. Tous à présent observait la scène. Kyuuseishu dut réagir vite pour ramener sa main sur son genou tout en observant la jeune fille qui enlaçait. Ce dernier était d’ailleurs tout aussi surpris. Il pensait pourtant avoir parfaitement compris le message. « Je n’ai pas besoin de toi dans mes pattes au Lycée grand frère ! ». Même si elle ne l’avait pas dit explicitement. Par contre, ce qu’il ne comprenait pas, c’était le comportement de sa sœur. Honnêtement, il trouvait cela bizarre. Etait-ce un défi des amis de sa cadette ? Il ne savait pas trop. Mais il comptait bien obtenir une explication. D’ailleurs, il repoussa la jeune fille et se redressa.

 

-          Miya ! Nous sommes dans une salle de classe, qu’est-ce que… »

 

Il n’eut guère le temps de terminer sa phrase car il se retrouva poussé sur sa chaise. Cela n’aurait pas été un problème, si ce geste n’avait pas été accompagné de propos le déstabilisant plus que de raison. Il trouvait que depuis l’accident il avait tendance à oublier qui il était et se faisait mener par le bout du nez. Cependant, estimant que ce n’était pas le moment de penser à cela il se contenta de soupirer, voire de grogner. Il était agacé par le comportement trop gentil de sa sœur, après la scène de la maison.

 

-          Comment tu as fait, dis-moi ? » Le coupa la jeune fille, radieuse comme si rien ne l’oppressait à la poitrine. « Je suis partie avant toi et tu es là avant moi ! Tu as triché, c’est ça grand frère ? Tu y as été en taxi ? »

-          Non ! Euh… il… enfin… il est venu à pied avec moi… » Expliqua Kyuuseishu avant de se bâillonner de ses mains.

 

Pourquoi avait-il pris la parole ? Cela avait été plus fort que lui. Honteux comme jamais, il s’enfonça dans sa chaise et fit profil bas, encouragé par le regard assassin de Miya. Elle se demandait qui était ce type qui avait accompagné son frère. C’était louche, très louche pour elle. Mais ce n’était pas le moment de s’en préoccuper, alors elle continua de parler à Toshiro, comme si rien n’était, ignorant intentionnellement les mots de Kyuuseishu.

 

-          Je suis trop fière de toi grand frère ! Mais j’ai perdu le pari ! Non… Je vais devoir faire toutes tes corvées pendant deux semaines ! Ce n’est pas juste ! J’étais pourtant certaine de gagner ! Je t’ai trop montré le chemin ! » Soupira avec une mine mi-boudeuse, mi-souriante la jeune fille avant de s’écarter doucement, repoussée par son aîné.

-          Miya ! Nous sommes dans une classe d’école et qu’est-ce que c’est cette histoire de… »

-          Ne me gronde pas grand frère ! » Le coupa encore la jeune fille. « Je me sens assez coupable comme ça ! »

 

Toshiro resta un instant bête devant les mots de sa sœur. Il venait de comprendre le message plus ou moins caché qui s’y trouvait. C’était donc ça la raison de toute cette mise en scène. Elle regrettait ses mots. Cette scène à l’entrée de la maison. Le jeune homme soupira à cette pensée. Franchement, ce n’était pas le moment. Avec les autres qui jasaient sur son compte, il n’avait pas besoin de ça en prime. Passant la main sur son visage, il réalisa que Miya continuait de parler. Focalisant son attention sur cette dernière, il l’écouta, se rendant compte également que le silence dans la classe avait repris son cours. Dans un sens, il devait la remercier. Cela l’avait calmé aussi. C’était étrange…

 

-          Et puis tu devrais être content. Pas de corvées pendant deux semaines ! Tu vas pouvoir reprendre le sport et… »

 

La jeune fille se bâillonna réalisant sa gaffe. Elle fixa son aîné et remarqua alors son sourire avant de le voir éclater de rire. Clignant des yeux, elle inclina la tête de côté avant de se mettre à rire également. Elle était rassurée. Toshiro ne lui en voulait pas. C’était tout du moins ce qu’elle comprit à la réaction de son frère. En fait, elle en était certaine. Cela avait quelque chose de rassurant. Elle se sentait mieux. Bien mieux.

 

-          Oui, je reprendrai le tennis… » Fit-il entre deux crises de fou rire. « Ou bien j’inaugurerai un nouveau sport. Batteur de vent ! »

 

La classe assista à la discussion avec perplexité. Puis le brouhaha habituel reprit son droit. Certains parlèrent de ce qui venait de se passer mais les autres évoquèrent leurs vacances, leurs péripéties et des choses fabuleuses et d’autres un peu moins qui leurs étaient arrivées. Kyuuseishu vit le changement s’opérer avec étonnement. Il ne savait pas ce qui s’était passé entre Toshiro et sa sœur, mais une chose était sûre, c’est que l’intervention de cette dernière venait de crever un abcès qui menaçait de grandir au fil du temps. Il était d’ailleurs heureux de voir Toshiro rire. Il était si crispé jusqu’à maintenant que c’était plaisant de le voir ainsi. Il était si beau, heureux. Cette pensée fit rougir le jeune homme qui du coup s’enfonça encore un peu plus dans son siège. Il espérait sincèrement que personne n’avait vu son comportement. Malheureusement pour lui, quelqu’un le vit. Et il eut droit à un regard assassin. Tout en se grattant la tête, il lâcha un autre soupir. Il aurait été vain de s’expliquer. De toute façon, il n’y avait rien à dire…

 

-          Miya… » Reprit Toshiro qui s’était enfin calmé. « Tu devrais rejoindre ta classe ! Tu vas être vraiment en retard ! »

-          Euh… » Hésita la jeune fille trop occupée à fixer avec méfiance Kyuuseishu. « Oui ! Je file. Je t’attendrai après les cours. On rentrera ensemble ! »

-          Pas besoin, je rentrerai avec Tamashii ! »

-          Hein ? » Répondirent simultanément Kyuuseishu et Miya.

-          Je rentre avec Tamashii ! Maintenant file ! »

-          Mais… » Tenta de contrer la jeune fille.

-          File ! Et n’oublie pas mes corvées en arrivant à la maison ! »

 

Miya fixa son frère puis Kyuuseishu. Elle le considéra froidement avant de finalement sortir de la classe pour rejoindre la sienne. Elle n’était pas contente. Elle se sentait comme jalouse, sans vraiment comprendre pourquoi. Grommelant tout le long, elle finit par arriver à destination.

 

Pendant ce temps, Kyuuseishu regardait toujours Toshiro. Il était perplexe, complètement désabusé. Son cœur battait très vite. Il avait cette envie de bondir de sa chaise et annoncer au monde entier la bonne nouvelle. Mais il ne fit rien de cela. Il se contenta de fixer son camarade, un léger sourire aux lèvres, mais toujours autant réservé.

 

-          Kodoku-san, vous êtes certain ? Je veux dire que… » Commença l’étudiant assez perplexe.

-          Oui ! Certain ! A partir de maintenant tu seras mes yeux. Tu sembles être un type bien ! » Fut la simple réponse de Toshiro.

 

Au même moment le professeur entra, et la rentrée débuta réellement en apportant un nouveau changement dans la vie de Toshiro et Kyuuseishu…

 

*****

 

Quelques mois plus tard…

 

-          Tu pourrais écouter ce que je dis quand même ! » S’écria Kyuuseishu en marchant de long en large dans la chambre avec nervosité.

-          Ecouter ? Mais je fais que ça ! » S’amusa Toshiro qui, assis sur le lit tout en jouant avec une balle de tennis, observait Kyuu s’agiter comme toujours.

-          Pff ! Arrête de te moquer, tu sais que c’est… »

 

Kyuuseishu ne put terminer sa phrase, puisque lorsqu’il passa devant Toshiro, il fut attrapé par le bras et entraîné sur le lit. Surpris, il se débattit en disant qu’il était plus que sérieux. Mais pour toute réponse, il vit ses lèvres se faire sceller par un baiser. Rougissant, il s’écarta rapidement et le fixa, bégayant comme jamais.

 

-          Tu… Tu… Tu n’es pas… »

 

Là encore, il n’eut pas l’occasion de finir sa phrase. La porte s’ouvrit avec force et fracas. Une ombre inquiétante s’avança vers lui, brandissant son doigt avec un air bien trop menaçant pour sa survie.

 

-          Je t’y prends. Qu’essaies-tu de faire à mon grand frère ? Tu profites de sa faiblesse hein ? Tu lui fais des choses pas normales ? Avoue ! » Fit Miya en attrapant Kyuu par le col, le secouant comme une folle.

-          Mais… mais… Je n’ai rien fait Miya-chan ! »

-          Miya-chan ? Comment oses-tu… »

-          Pardon… Je ne voulais pas ! » Paniqua le jeune homme anormalement affolé sur le coup.

-          Miya ! Laisses-le ! Tu vas me le casser ! » Intervint enfin Toshiro, qui, s’il avait été dans un manga, aurait eut une légère bulle derrière la tête.

-          Te le casser ? Mais grand frère, c’est avec moi que tu vas vivre. Pas avec lui. C’est un homme ! Enfin une sorte de garçon quoi ! »

 

Kyuuseishu se demanda si les derniers mots de Miya étaient un compliment ou pas. Mais il ne préféra pas répondre, se disant que pour sa survie, il valait mieux faire profil bas. Surtout qu’il était toujours maintenu par le col.

 

-          Voyons, voyons ! » Fit Toshiro en se levant, se dirigeant, au son, vers sa sœur. « Tu es ma sœur. Et lui mon âme sœur. Tu veux peut-être faire un truc à trois ? »

 

Cela fit ni une, ni deux, la jeune fille monta sur ses grands chevaux. Elle envoya Kyuuseishu sur le lit et gifla son frère en partant vexée comme jamais de la chambre.

 

-          Grand frère tu n’es qu’un sale pervers et un idiot ! Idiot ! Idiot ! »

 

La porte claqua et idiot continua de résonner alors que Toshiro se massait la joue. Kyuuseishu accourut à lui. Il s’arrêta et fixa son visage, soupirant alors qu’il sortait son mouchoir de sa poche pour essuyer le sang qui coulait au niveau de la commissure des lèvres de son vis-à-vis.

 

-          Tu as été un peu loin là… » Soupira le jeune homme soulagé, mais dépité.

-          Tu crois ? C’est que je te voulais à moi tout seul, c’est pour ça ! »

-          Ne dis pas d’idioties pareilles ! » Rétorqua rouge comme une pivoine Kyuu qui terminait de le soigner.

-          Bah pourquoi ? Ce n’est que la vérité. Et voilà la preuve ! »

 

Kyuuseishu n’eut pas le temps de répondre quoi que ce soit qu’il se retrouva embrassé. Il venait comprendre que le sujet révision pour les examens venait de tomber à l’eau pour devenir sujet sur l’anatomie humaine… Cette perte complète de la vue n’était finalement pas une mauvaise chose, songea Toshiro, tout en continuant ce baiser qu’il rêvait de donner depuis le début de la journée. Il était passé part des périodes douloureuses, mais à présent tout ceci était derrière lui. Il vivait le moment présent et il avouait qu’il appréciait cela à sa juste valeur…

 

 

Fin



[1] Je ne veux pas mettre de mots japonais. Alors je laisse grand frère vu que l’histoire se passe au Japon.

[2] Ou Kyûseishu en Hepburn. Le Kyuu n’existe pas dans la retranscription française ! (Merci à Roshieru pour cette précision.)

[3] J’ai mis san, car je ne voyais pas comment le transcrire en français. Ca m’ennuie un peu, mais je vu que je souhaitais réellement garder la tradition japonais dans la vie courante, j’ai trouvé que je n’avais pas le choix.